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défiée et menacée, comment, de proche en proche, l’Europe eurent conscience du péril auquel elles avaient à faire face, c’est ce que les publicistes et les historiens attentifs de notre génération, c’est ce que la « Chronique politique » de la Revue ont, au jour le jour, et soigneusement, relaté.

Notre objet serait de résumer ici, en nous aidant des documens publics et d’ouvrages récens, une histoire dont les faits et les enseignemens ont singulièrement contribué à donner à la présente guerre, pour les Alliés combattant sous les sept drapeaux, le caractère de clarté, de confiance, de certitude, qui est le premier augure et le gage de la victoire. Les Alliés savent pour quelle cause ils combattent et pourquoi ils doivent vaincre. Ce n’est pas dans un brusque sursaut, c’est après de longues épreuves, et dans l’aperception de plus en plus évidente de son devoir, que l’Europe a répondu, en même temps qu’à la provocation de l’Allemagne, à l’appel de son propre destin.


I

Après la guerre de 1870-71 et le traité de Francfort, — par la défaite de la France et la création de l’Empire allemand, — il n’y avait plus, à proprement parler, d’Europe. Une hégémonie était née, qui, peu à peu, selon la loi fatale de toute hégémonie, devait se transformer en instrument de tyrannie et de servitude.

L’habileté, l’art du prince de Bismarck, chancelier du nouvel Empire, furent de contenir en de certaines limites la croissance trop rapide d’une Puissance dont les prétentions trop tôt révélées eussent donné de l’ombrage, et de retarder l’heure, l’heure qu’il ne cessa de redouter, où, contre une Puissance trop forte et menaçante, se préparerait, se nouerait une inévitable coalition. — Le prince fut aidé, dans sa modération relative et sa sagesse, d’abord par les dispositions semblables de son souverain et maître, l’empereur Guillaume Ier, qui, satisfait des gains réalisés, parfois même étonné et inquiet d’une si rapide fortune, s’était vite comme retiré et réfugié dans un dessein général de conservation et de paix. Le prince y fut encouragé, en outre, par la nécessité de réparer, sinon les plaies, du moins les lacunes et imperfections intérieures et de mettre la nouvelle Allemagne en état de soutenir son rang et train d’Empire. — Ajoutez que