Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette popularité du Conseil de Brisach donna l’idée de lui conférer des pouvoirs plus étendus. Pour que son rôle de protecteur des populations contre les tyrannies locales pût porter tous ses fruits en Alsace, il était bon de l’émanciper du contrôle supérieur du Parlement de Metz. C’était revenir à la conception primitive du Conseil souverain d’Ensisheim, mais y revenir après la preuve faite des services qu’il était appelé à rendre. Les justiciables d’Alsace ne pouvaient d’ailleurs que gagner à être dispensés de démarches lointaines à Metz, en un pays de langue française. La réforme fut donc présentée et accueillie comme une faveur, au lieu d’apparaître comme une mesure de francisation autoritaire. Le nouveau « Conseil supérieur d’Alsace », qu’on nomma dans l’usage courant « le Conseil souverain » bien qu’il n’ait reçu officiellement ce titre que près d’un siècle plus tard, fut inauguré le 1er janvier 1680.

Le rôle du Conseil souverain dans la francisation de l’Alsace est réel, mais ce n’est pas par la contrainte qu’il s’est exercé. Le Conseil souverain d’Alsace s’est imposé à l’estime des Alsaciens en défendant leurs intérêts et en respectant leurs coutumes. Il s’applique à promouvoir les droits du Roi, non contre le peuple, mais contre les seigneuries et les aristocraties urbaines. Il fait aimer l’autorité du Roi en la montrant bienfaisante, autrement dit en montrant que l’intérêt du Roi est l’intérêt du peuple. Même à l’époque des Chambres de Réunion, alors qu’il annexait à la France d’un trait de plume une foule de domaines qui tenaient à leurs vieilles libertés, le Conseil de Brisach défendait l’autonomie alsacienne. En voici un exemple de 1680. Le duc de Mazarin, qui n’était plus gouverneur de la province, mais qui avait hérité de son oncle la plupart des anciennes terres autrichiennes données par Louis xiv au cardinal en 1659, prétendit citer le chapitre de Thann, avec qui il était en procès, devant les tribunaux et le Parlement de Paris. Le Conseil de Brisach, à cette occasion, obtint du Conseil d’État un arrêt qui défendait de traduire les sujets alsaciens hors de leur ressort judiciaire. Certes, il défendait là sa cause, mais aussi la leur.

De même pour la question des langues. Un arrêt du Conseil d’État du 30 janvier 1685, constatant que les actes de procédure continuaient à être rédigés en allemand bien que la plupart des officiers de justice connussent les deux langues,