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supérieur, une nation politique ; à l’extérieur, comme à l’intérieur, les négociations sont son élément naturel ; elle s’y complaît parce qu’elle y excelle. Nous ne la choquerons pas en disant qu’au point de vue de la préparation militaire, l’Allemagne lui est supérieure, — et, si ce jugement la désobligeait, nous commencerions par nous l’appliquer à nous-mêmes, — mais nous reprenons, elle et nous, des avantages par d’autres côtés, et sur le terrain de la politique pure, elle est sans rivale. La diplomatie allemande, en particulier, lutterait difficilement contre la sienne. Dieu sait toutes les bévues que cette diplomatie a accumulées depuis le commencement de la guerre, pour ne pas remonter plus haut ! L’Allemagne s’est crue assez forte pour se passer d’habileté. Arrogante dans son esprit, brutale dans ses procédés, elle a prétendu régner par l’intimidation et par la terreur. Avec l’Italie, toutefois, elle a senti qu’il fallait employer des procédés un peu différens. L’Italie était l’alliée de la veille et, aujourd’hui même, l’alliance n’a pas été officiellement rompue : le chiffon de papier subsiste encore. L’empereur Guillaume a donc envoyé à Rome le plus adroit, non seulement de ses diplomates, mais de ses hommes d’État. Mais que pouvait-il faire ? Dès le premier moment, sa mission a provoqué le scepticisme et nous ne serions pas étonné qu’il eût lui-même partagé ce sentiment. Ce qu’il pouvait offrir était par trop inférieur à ce que l’Italie attendait, demandait, exigeait. On assure qu’au dernier moment, M. de Bülow, brûlant héroïquement ses dernières cartouches, a proposé de faire de Trieste une ville libre comme Hambourg. Nous avons peine à croire qu’il soit allé jusque-là et, s’il l’a fait, que l’Italie s’en déclare satisfaite. Elle a trop de finesse pour ne pas comprendre qu’une offre pareille ne peut pas être sincère. À les supposer victorieuses, l’Allemagne et l’Autriche auraient vingt moyens de la rétracter. Ce n’est d’ailleurs pas la liberté, mais la possession de Trieste que l’Italie revendique. La lecture de ses journaux donne à penser qu’elle ne se contentera pas de Trieste et qu’il lui faut encore Pola et toute l’Istrie. Plus encore, au moins une partie de la Dalmatie. Il n’est pas croyable que le prince de Bülow puisse pousser aussi loin ses libéralités.

La Triple-Entente seule peut le faire, à la condition toutefois qu’une part suffisante soit réservée à la Serbie, qui s’est couverte de gloire pendant toute cette guerre et dont on ne saurait exagérer les mérites ; mais on peut être sûr que la Russie a su les faire valoir et les défendre, et sûr aussi que ni l’Angleterre ni la France ne les ont méconnus. Quelle sera la part faite à l’Italie et à la Serbie sur la côte