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Fénelon, qui les achève et, souvent, les détériore. Il y a, dans ce clair et subtil génie, des mélanges extraordinaires : il y a en lui du Précieux et du Glorieux ; il y a en lui du Pascal ; et il y a en lui de l’incompréhensible. Ce qu’il invente, c’est, en quelque sorte, une dialectique de l’ineffable… Et Vauvenargues, si malheureux, ce qu’il invente, c’est la sérénité philosophique. Marmontel l’a vu souffrir et mourir, dans une petite chambre, à l’hôtel du Paon, et plus tard disait : « On n’osait pas être malheureux auprès de lui… » La vue d’un animal blessé, d’un cerf qu’on poursuit dans les bois, d’un arbre qui penche et qui traîne ses rameaux dans la poussière, d’un vieux bâtiment qui s’abîme, d’une fleur qui pâlit, d’un pétale qui tombe, lui plongeaient l’esprit « dans une rêverie attendrissante ; » mais il savait résister contre la tentation des larmes et, sans se guinder, il affirmait la beauté de la vie.


Je vais trop vite et ne puis m’arrêter à tous ces reposoirs de la pensée que nos écrivains des beaux siècles ont bâtis et ornés de leur rêverie. M. Joachim Merlant s’y attarde ; il y fait oraison.

Que d’autres, avant lui ! Et, après lui, que d’autres encore suivront ce même chemin, de Montaigne à Vauvenargues !… Nous avons là nos origines. Ces grands hommes, que nous appelons nos Classiques, sont véritablement nos pères. Ils sont aussi (comme, des Latins et des Grecs, disait Montaigne) nos bons amis du temps passé. Nous leur devons, mieux que la vie, notre idée de la vie. Et Montaigne disait : « Je n’ai pas plus fait mon livre que mon livre m’a fait ; » leurs livres nous ont faits. Nous ressemblons à leurs livres. Cependant, ils ne nous astreignent pas. Leur discipline est clémente : ils nous laissent nous échapper. Même alors, il est et il doit être visible, à notre allure, que nous venons d’eux. Puis, nous revenons à eux ; nous les consultons.

Est-il des problèmes que nous n’ayons à leur soumettre ? M. Joachim Merlant n’a pas craint de leur poser des questions nouvelles. Sur « la vie intérieure et la culture du moi, » il a interrogé Corneille. Nouvelles questions ? Nouveaux, surtout, les mots. Et Corneille a répondu. Il est vrai que les mots sont des signes de réalité ; le vocabulaire nouveau indique une réalité nouvelle. Mais la réalité change plutôt en ses apparences que dans son tréfonds. Nos bons amis du temps passé ne sont pas dupes des apparences. Ils nous reconnaissent ; et ils reconnaissent notre souci, le leur. Ainsi, leur conseil continue, ou de nous diriger, ou bien de nous aider.

Ils sont charmans et d’aimable accueil. Aucun d’eux n’a une mine