Montaigne à Vauvenargues montre que l’âme française eut, en sa florissante jeunesse, le plus beau développement, logique et naturel. De même qu’un arbre sain lance de divers côtés ses rameaux, — et chacun d’eux obéit à la puissance de la sève, à la qualité de l’essence ; et tous composent l’arbre : la libre fantaisie de chacun d’eux est fidèle au dessin général, — ainsi le moi, au XVIe siècle, pousse allègrement ses tentatives. Montaigne, Guillaume du Vair, saint François de Sales et Honoré d’Urfé demandent à la méditation l’embellissement de l’âme. Il ne s’agit guère, pour ces moralistes, que de « culture intérieure. » Voici Corneille : et alors, la beauté de l’âme, c’est l’activité. Le moi ne se confine plus ; mais il se jette dans la mêlée des passions, il organise des combats et y réclame le rôle principal, la suprématie, la domination. Voici, avec les héros de la Fronde et, mettons, avec Paul de Gondi cardinal de Retz, le « moi glorieux, » le moi qui fait d’élégantes folies, le moi qui splendidement tourne mal. Un Paul de Gondi cardinal de Retz a bel et bien supprimé toutes les contraintes ; et il se trémousse. Il s’amuse. Il n’est pas un homme d’État, mais un chef de parti : n’est-il pas, quelquefois, un émeutier ? A-t-il une morale ? Non ; mais il obéit à des maximes d’entrain, de gaieté, d’effronterie, de fourberie et puis d’honneur. Il n’a pas de vertu : il a, comme on disait dans le désordre italien de la Renaissance, de la virtù. Le moi se donne du bon temps. Pascal le châtie. Et le gouvernement du Roi, qui maintient l’ordre dans l’Etat, calme le remuement des consciences. Il ne leur inflige point un esclavage : il leur laisse, et même il leur assure, la suffisante et l’innocente liberté qui permet aux plus vives singularités de se produire. Un La Fontaine, un Méré, un Saint-Evremond réalisent des chefs-d’œuvre d’originalité, dans leur vie, et ajoutent à l’art de vivre des recettes. D’ailleurs, ils ne vont point à l’extravagance. Ils ont, pour les retenir, du goût ; leur goût les avertit de ne dépasser point la mesure : et ils honorent la raison. La raison vaut qu’on se lie à elle, pour empêcher les égaremens de l’esprit et les égaremens du cœur. C’est à elle que Mme de La Fayette livre le cœur troublé de la princesse de Clèves : nos passions s’épuisent à nous martyriser ; la raison les émousse. Et l’œuvre de la raison, si utile, n’est pas un jeu, n’est pas un divertissement. Mme de La Fayette n’évite pas toute mélancolie : elle nous offre seulement une sagesse. Il y a de l’abnégation dans la sagesse.
Il me semble que toutes les idées du siècle, toutes les nuances d’idées, et tous les sentimens, toutes les tentatives ingénieuses pour comprendre et aussi toutes les finesses de l’émoi, se retrouvent en