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ennemis la méprisaient et la disaient conseillère de nonchalance : eh bien ! ils ont vu ses fidèles prompts à servir et hardiment résolus.

Pour attester la qualité vaillante de notre « culture, » il y a la foule de nos soldats, qui dépendent d’elle, et parmi eux, au premier rang, le grand nombre de leurs professeurs et instituteurs : ceux-ci, par milliers et tous également revenus des erreurs d’autrefois, tous bons enfans de la patrie ; et, par dizaines, ces normaliens, gens retirés, gens de la cité des livres, soudain sortis de leur retraite, officiers pour la plupart, si bien au feu, si crânes, sachant mourir. La liste de leurs morts est longue. Et l’on rend hommage à eux tous en louant, comme l’un d’eux, le capitaine Joachim Merlant.


Il est bien l’un d’eux et, à leur guise, pendant les jours de la paix, enfermé dans l’étude. A Montpellier, ville tranquille et ancienne, aux demeures nobles et parées de belle ferronnerie, ville méridionale et dont la gaieté admet une certaine austérité que ses traditions illustres et savantes lui confèrent, ville qui de Rabelais garde pieusement la robe de docteur, il enseigne, non seulement la littérature, mais le culte des bonnes lettres. Il a ses élèves, ses cours, sa besogne et sa rêverie. Il découvre, dans les bibliothèques, les éditions rares et les précieux volumes. Il est content, le matin qu’il a trouvé l’exemplaire le plus charmant du recueil où Guillaume du Vair met à portée de l’âme française l’éthique des stoïciens. Le volume est de 1607, chez Abel L’Angelier, au premier pilier de la Grand’Salle du Palais ; et un dessin d’une grâce exquise encadre le titre : on y voit des oiseaux, des fruits et des fleurs en guirlandes. Or, au milieu de la gravure, une main, non d’artiste, mais d’amoureux, ajouta quelques traits de plume assez adroits pour que, sans peine, on distingue deux cœurs environnés de flammes et traversés d’une flèche, puis sous l’emblème cette devise énigmatique : Ardens Immortels au regard d’amyes… Il est facile de déchiffrer les mots, non leur signification secrète. « Ce livre fut-il le lien de deux âmes ; n’atteste-t-il pas une dévotion stoïcienne, une spiritualité stoïcienne ?… » Et les ardens mortels qui l’ont lu, sous le règne d’Henri IV, comment arrangeaient-ils leur vie, comment réunissaient-ils, et par quels tours d’une dialectique ingénieuse, leur amour qui flambe et la vertu stoïcienne ? Ensuite, ils sont morts ; et toutes antinomies se résolvent là.

Entre nos écrivains, M. Joachim Merlant préfère ceux qui ont accordé à la solitude, au silence et à la réflexion le plus de soin, le plus de temps et qui, à leur époque et plus tard, n’ont pas fait