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Quelle est actuellement la situation ?

Depuis six semaines, la flotte alliée est là, à l’entrée des Dardanelles, non point inactive, certes, car outre qu’elle répare ses avaries et qu’elle s’amalgame les renforts qui lui ont été envoyés, elle entretient constamment, soit dans le vestibule du détroit, soit dans le golfe de Saros, au Nord de la presqu’île, des feux suffisans pour gêner singulièrement le personnel des ouvrages germano-turcs, tandis que ses dragueurs reprennent inlassablement leur dangereuse besogne, vers Képhès, et que ses aéroplanes survolent le théâtre des opérations, tenant les chefs alliés au courant de tout.

Ajoutez bon nombre d’opérations accessoires et une surveillance incessante des abords du détroit, surveillance qui n’est point inutile, puisque, au moment où j’écris, on signale la « randonnée » audacieuse d’un contre-torpilleur ottoman qui, après avoir lancé deux torpilles, — sans succès, — sur un transport anglais, a été poursuivi par les bâtimens légers des Alliés et forcé de faire côte à Kalamati de Chio. D’autre part, on voit des aéroplanes allemands se risquer au-dessus des escadres, des campemens de Ténédos et se faire chasser vigoureusement par les hydravions anglais. Mais cette activité extérieure n’est rien à côté de celle que les Turcs, énergiquement poussés par l’Etat-major germain, déploient pour renforcer les défenses fixe et mobile, terrestre et sous-marine du réduit des Dardanelles. Sans aller assurément jusqu’à dire que tout est à recommencer, pour la flotte alliée, dans l’attaque prochaine, dans l’attaque qui doit être décisive et, coûte que coûte, victorieuse, on ne peut dissimuler que le temps a été remarquablement mis à profit par l’adversaire pour réparer ses ouvrages, ses plates-formes, ses affûts, — sinon ses pièces, — ses casemates, ses magasins. Bien mieux, il semble que, reconnaissant la redoutable efficacité des feux des vaisseaux contre les batteries permanentes et plus ou moins repérables, les Germano-Turcs s’attachent, toutes les fois que le terrain et l’état des routes[1] le permettent, à organiser des batteries mobiles de pièces moyennes, de 150 millimètres, par exemple, montées sur trucs et traînées par des « tracteurs » automobiles. L’avantage de la mobilité

  1. Le réseau des routes militaires de la presqu’île de Gallipoli et des abords de Tchanak-Nagara, du côté asiatique du détroit, a été très amélioré dans ces derniers temps.