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membres de l’École d’Athènes. Trop hanté du souvenir de Paris, il sentait trop ce qui lui manquait pour bien apprécier ce qu’il possédait ; et c’est pour cela que sa vie est ennuyée, sans passion et sans but. Installée alors dans un immeuble spacieux et bien aéré, en face de l’Acropole, au pied du Lycabette, l’Ecole d’Athènes avait cependant de quoi plaire même à un jeune homme que la science archéologique séduisait médiocrement. Là, sous l’autorité assez ferme, dominatrice, mais non sans esprit, d’Amédée Daveluy qui présida plus de vingt ans aux destinées de l’établissement, de studieux élèves vivaient, assez différens d’intelligence et de goûts, mais tous animés du désir de faire mieux connaître l’antiquité et d’en pratiquer le culte avec zèle. Une douzaine de jeunes gens y avaient habité avant About ; trois s’y trouvaient encore lorsqu’il arriva : Ernest Beulé, Alexandre Bertrand, et M. Alfred Mézières, aujourd’hui seul survivant de ces âges héroïques. C’est parmi eux qu’About allait vivre, du moins tant qu’il séjournait à Athènes, et la diversité de leurs aptitudes dit assez que leur commerce n’était ni monotone, ni fastidieux.

Exactement un mois plus tard, le 8 mars 1852, arrivait de Rome à Athènes un grand prix d’architecture, Charles Garnier, venu en Grèce pour tenter la restauration de quelque monument antique. C’était un aimable compagnon, brun et nerveux, facile à vivre, et dont l’ingéniosité d’esprit allait augmenter encore l’agrément de cette vie en commun. Par ses qualités, par ses boutades même, le nouveau venu devait beaucoup plaire à Edmond About, qui, de fait, s’attacha vite à lui. Mais artiste avant tout, doué d’une sensibilité extrême et du sens aigu de la beauté, Charles Garnier était ébloui des spectacles qui retenaient moins About. Pour Garnier, l’arrivée à Athènes avait été un enchantement. Il a laissé le début d’un journal de son séjour en Grèce, qui nous permet de suivre les mouvemens divers de son âme d’artiste dans de telles circonstances, et qui, de plus, fournit le moyen de contrôler les faits et gestes de ceux qui vivent alors auprès de lui.

« J’ai tout oublié, écrit-il en arrivant à Athènes, le 8 mars 1852, j’ai tout oublié, fatigues, ennuis, malaises, tout ! Je suis à Athènes, j’ai vu l’Acropole ! ! ! A beau mentir qui vient de loin, dit le proverbe ; je défie bien de mentir sur ce que j’ai vu. Toutes les paroles enchantées, toutes les descriptions