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viennent donc naturellement sous la plume de l’écrivain, qui s’en sert, comme toujours, pour donner à sa pensée un piquant de plus.

« Monsieur et cher élève, j’arrive et je vous écris. Vous aurez l’étrenne de ma plume. Il est bien juste qu’après un si long et si lointain voyage, je donne d’abord de mes nouvelles aux personnes qui me l’ont rendu facile et agréable. Grâce à la recommandation de M. Revenaz, j’ai trouvé dans M. Rostand, dans le capitaine du Lycurgue et dans tous les employés de l’administration, une complaisance et une prévenance qui ressemblaient presque à de l’amitié. J’ai pris les premières places en payant le prix des secondes ; et le confortable du bateau joint à la politesse des officiers m’a fait endurer une traversée de huit jours. Je soupçonne même M. Revenaz d’avoir écrit là-haut un petit mot en ma faveur, car le ciel s’est montré d’une clémence admirable ; la mer, très violente quelques jours auparavant, s’est radoucie tout exprès pour nous. Ce n’est pas à dire que la houle nous ait entièrement laissés tranquilles. Vous souvenez-vous de ce joli petit mal de mer, qui nous a pris dans la dernière heure de notre traversée de Douvres à Calais ? Eh bien ! j’ai goûté un plaisir très semblable à celui-là, mais infiniment plus prolongé. Cela a duré quelque chose comme quatre jours, quoique tout l’équipage jurât que nous avions un temps magnifique. Mais enfin me voici à peu près amariné, et, si ma bonne étoile veut que je fasse un grand voyage ce printemps, je ne donnerai pas à M. Revenaz le triste spectacle de mes nausées. Je suis arrivé ici à peu près dans le même étal que vous à votre retour de Londres, c’est-à-dire peu brillant, si vous vous souvenez. Mais je ne regrette pas plus ma fatigue d’hier que vous ne devez regretter vos fatigues de septembre : un malaise passe vite, et le souvenir de ce qu’on a vu demeure longtemps. J’ai bien des fois regretté que vous ne fussiez pas avec moi : après le spectacle de l’activité anglaise et des beaux résultats qu’elle a produits, vous auriez vu ici le triste tableau des effets de la paresse. Athènes est un horrible village, en comparaison de la plus petite ville d’Angleterre. Point de pavé, point d’éclairage ; des maisons bâties à la hâte avec de la terre, ou, ce qui est pis, avec des chefs-d’œuvre en débris ; une campagne ou inculte ou mal cultivée : les paysans croient avoir assez fait quand ils ont gratté l’épiderme de la terre, et les