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l’aimable invitation de ta mère. Jeudi dernier, comme je m’en allais, clopin-clopant, donner ma leçon rue d’Hauteville, j’ai rencontré mon élève, qui s’en venait à l’École me demander timidement si je consentais à le mener voir l’exposition. J’ai accepté sans timidité, et vendredi matin nous partions à six heures, avec mille francs en poche, et la résolution de nous amuser. Après un voyage assez agréablement varié par le mal de mer d’autrui, et le spectacle des bons Anglais qui, au lieu de tenir la tête de leurs femmes, s’occupaient uniquement à leur tenir les jupons que le vent emportait, nous avons touché le sol de la verte Angleterre, et je me suis écrié pieusement : « Witcomb ! Witcomb ! »

« Les Anglais ont fait tapisser de craie les côtes de leur pays ; cela fait un assez bon effet de loin. Le chemin de Douvres à Londres suit la mer pendant quelque temps, et c’est fort beau à voir. Mais la plupart du temps on voyage sous terre : ils abusent de leur facilité à bâtir des tunnels. Quant à leurs wagons, je le dirai, au risque de blesser votre jeune pensionnaire, un chien n’en voudrait pas. Je parle des secondes ; quant aux troisièmes, un Anglais n’y mettrait pas ses cochons : c’est trop sale.

« Nous avons déjà passé un jour à Londres ; mais nous n’avons rien vu de la ville. La Tamise est encore un mythe pour nous. Notre journée d’hier s’est passée à chercher l’exposition et à la visiter. Je pense que nous y retournerons tous les jours, mais je doute que nous arrivions à la connaître un peu ; c’est d’une grandeur telle, et si plein de recoins imprévus, que les gardiens eux-mêmes doivent en ignorer bien des choses.

« Je n’ai guère vu hier que les machines et les sculptures anglaises. J’aime mieux les machines. C’est non seulement beaucoup plus utile, mais encore et surtout beaucoup plus beau. C’est là qu’ils mettent leur imagination. Il y en a qui sont de génie ; toutes leurs statues ne sont que de fabrique. Pour t’en donner une idée, figure-toi de la sculpture au daguerréotype. Une copie plate des formes, une sorte de moulage, fait à vue de’ nez ; pas l’ombre d’idéal. Ce n’est pas peut-être là leur plus grand défaut : mais dans leurs statues, les hommes ne sont pas des hommes, ni les femmes des femmes ; les hommes sont des Anglais, et les femmes des Anglaises. Figure-toi un Satan, orné d’une figure tragico-grassotique, assis sur un gros serpent