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discute avec plus d’ardeur, car les élèves sont maintenant plus divisés. Tout en demeurant d’excellens camarades, quelques-uns affichent un catholicisme intransigeant, qui se manifeste à chaque occasion, pour les motifs les plus divers. Les autres, en plus grand nombre, non moins convaincus et non moins tenaces, plus malicieux encore et plus fertiles en ruses, loin de refuser le combat, le provoquent et se défendent avec une habileté consommée. About est le chef du clan des incrédules ; il fait ses premières armes de polémiste contre ses condisciples, en attendant qu’il se mesure avec des adversaires plus redoutables. Et Taine, toujours logicien, toujours réfléchi, penche manifestement vers ceux qui montrent le plus de largeur d’esprit et laissent un jeu plus libre à la raison de l’homme.

Sur ces années de fermentation intellectuelle à l’École normale, nous possédons maintenant le témoignage direct de quelques-uns de ceux qui les vécurent. La correspondance de Taine, si philosophique, si méditative, donne bien l’idée, encore qu’un peu trop haute, des aspirations généreuses qui guidaient les meilleures de ces intelligences si vibrantes. Les lettres de Sarcey, publiées plus récemment par fragmens, décrivent mieux le cours ordinaire de cette existence assez surchauffée, enivrée de son savoir et fière d’en user, les acteurs, — maîtres ou élèves, — et les incidens quotidiens d’une vie assez recluse qui se répand surtout en lectures et en discussions. Moins abstrait, moins dogmatique que Taine, Sarcey voit plus judicieusement leurs camarades et les marque d’un trait qui, pour être moins profond, n’en est pas moins juste et moins frappant. Les passions de ce petit monde y revivent au vrai, et Edmond About, comme il convient, s’y montre le plus agissant, le plus envahissant. La mobilité de son esprit, la fertilité de ses ressources, en font un adversaire redoutable dans la discussion, plus redoutable encore dans les examens, où le sentiment du danger proche affine ses qualités et transforme ses défauts en élémens de succès. Moins travailleur que les autres, quoiqu’il aime le travail et soit capable de s’y livrer avec une attention soutenue, il assimile les textes et les lectures avec une aisance telle qu’il semble avoir forgé lui-même tous les matériaux qu’il emploie et dont son esprit sait si bien tirer parti qu’ils lui paraissent familiers.