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des larmes amères ; ailleurs, nous avons frappé une heure durant à la porte d’un aubergiste : le chien, pendant une heure, a aboyé sans interruption ; mais le Breton s’était mis dans la tête qu’il ne bougerait pas, et il n’a pas bougé. Par bonheur, un brave homme nous a donné un lit pour deux, dans une chambre où couchaient déjà son fils et un douanier en retraite. Là, du moins, nous avons un peu dormi. Nous prenons nos repas chez l’hôtelier d’Edouard ; ce brave homme a la bonté de ne pas nous prendre plus cher que dans le premier hôtel de Cherbourg, quoique nous soyons infiniment moins bien chez lui. Mais peu importe ; nous sommes avec des amis. Demain Edouard nous montrera les grottes qui sont aux environs ; il nous tracera un itinéraire dans le Morbihan. Mme de Suckau parait à l’unisson de son fils et de son mari, une femme charmante et toute bonne.

« Notre voyage n’a plus guère que quinze jours à durer ; il faut que Francisque donne une quinzaine à ses parens ; nous serons le 15 octobre à Paris pour chercher des habits ; de la sorte, nous vous bénirons avant votre licence.

« Je n’ai pas reçu une lettre depuis mon départ, Francisque pas davantage ; la poste est aussi bête qu’un simple Breton, dans tout ce pays-ci. Nous avons écrit à Rabasté pour lui annoncer notre arrivée ; nous sommes arrivés à pied avant la poste. Notre lettre à Edouard n’est arrivée qu’un jour avant nous. Si tu m’écris, écris-moi à Nantes ; c’est un pays civilisé.

« Adieu, mon cher ami ; je ne te souhaite pas du plaisir ; tu as mieux que cela à Paris ; je te souhaite le courage de travailler un peu. Rappelle-moi au bon souvenir de tes parens quand ils seront de retour, et d’ici là, dis bien des choses aimables de ma part à M. Callot ; j’ai profité de mon mieux des instructions qu’il m’avait données ; mais il n’y a que l’expérience personnelle qui soit bien instructive. »

Tel est le récit qu’About envoie à son ami. Ne croirait-on pas lire une page préliminaire de la Grèce contemporaine, écrite avec plus de laisser aller, sans doute, et plus d’abandon, mais avec la même verve, le même entrain et les mêmes moyens d’observation et de style ? La formation de cet esprit si prompt fut, en effet, très rapide, et l’expression lui arrivait aussi aisément que l’idée. Parler avec une certaine désinvolture des hommes et des choses, ne s’en laisser imposer ni par les idées