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n’était pas le seul, dans cette élite juvénile, qui portât à Edmond About une amitié franche et cordiale. Car c’est un des traits caractéristiques d’About d’avoir su inspirer de bonne heure de sincères sympathies et de les avoir gardées ensuite à travers la vie, par une très réelle bienveillance, qui faisait pardonner les boutades de son esprit trop prime-sautier pour résister à ses impulsions. Dans l’intimité des classes de Charlemagne, About avait noué d’amicales relations avec plusieurs de ses camarades, qu’il aimait et qui le lui rendaient. La plupart se destinaient comme lui à l’École normale supérieure, car c’est là que ses succès scolaires le poussaient, et c’est avec ceux-ci qu’il se lia particulièrement : Sarcey d’abord, puis Paul Albert, Alfred Quinot, Arthur Bary et d’autres encore. Ce dernier était fils d’un professeur, Emile Bary, qui enseignait au même lycée la physique et la chimie et qui logeait dans le vieux bâtiment de Charlemagne, formé, comme on le sait, des locaux de l’ancienne maison professe des Jésuites de Paris.

Le logis était fort incommode, mal distribué, trop chaud l’été, trop froid l’hiver, mais engageant par la bonne grâce de ceux qui l’habitaient : le professeur, aussi modeste qu’indulgent, tout à ses devoirs professionnels et à sa famille, nourri de l’antiquité classique qu’il ne cessait de fréquenter ; Mme Bary, femme d’une instruction très solide et très variée, pratiquant les mêmes vertus domestiques que son mari, agrémentées d’une gravité douce et souriante, pleine de charme et de gaieté ; les enfans, formés sur le modèle de ce ménage et cherchant à l’imiter : Arthur, un garçon modeste et résolu ; un fils plus jeune, Gustave, et une jeune fille, presque une enfant, Mlle Louise Bary, qui devait plus tard épouser Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra, un mariage auquel About ne fut pas étranger. C’est dans ce milieu si honorable, où s’épanouissaient les qualités naturelles à la petite bourgeoisie d’autrefois, que venaient souvent About, Sarcey et les autres collégiens de Charlemagne qui songeaient à entrer eux-mêmes dans l’Université. C’est là qu’ils venaient prendre l’habitude, je ne dirai pas du monde, mais de la vie sociale, le sentiment de la douceur d’un foyer ami, l’agrément d’une vie vouée aux devoirs quotidiens délibérément choisis et accomplis avec scrupule. Ils furent sensibles à cet exemple et eux-mêmes reconnaissaient combien il leur avait été salutaire.