Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

théologie moderne, il ne fait pas la distinction de la thèse et de l’hypothèse. Lors donc qu’il déclare que, si tous les hommes pratiquaient la résignation évangélique, il n’y aurait plus de discordes et de violences, ou lorsque Arnobe proclame qu’en obéissant à la parole du Christ, l’univers « vivrait dans une douce tranquillité, rassemblé, par un pacte incorruptible, en une concorde salutaire, » les formes de style qu’ils emploient suffisent à nous avertir qu’ils ne songent pas à une mise en œuvre immédiate du rêve dont ils s’enchantent. Ce qu’ils nous livrent est plutôt un vœu qu’une règle.

Le cas de Tertullien est plus significatif, parce qu’il est plus complexe. On rencontre chez lui une condamnation irréfragable du service militaire : « Comment faire la guerre, comment, même en temps de paix, être soldat, sans avoir une épée ? Or le Christ nous l’a ôtée. En dépouillant Pierre de son glaive, il a désarmé pour l’avenir tous les soldats. » Impossible, à coup sûr, de trouver une négation plus intransigeante. Mais, remarquons-le bien, elle se lit dans un des derniers ouvrages de Tertullien, dans un écrit de la période où, devenu hérétique, il raffine et renchérit sur la doctrine commune. C’est le sentiment d’une coterie qu’il exprime, non celui de l’Eglise en général, car, à cette date, l’Eglise catholique est pour lui une ennemie qu’il combat aussi farouchement que le monde païen. Auparavant, alors qu’il était encore un apologiste orthodoxe, il avait reconnu que les chrétiens pouvaient être soldats : « Nous remplissons vos villes, vos municipes, vos camps même, » disait-il aux païens, et ailleurs : « Nous naviguons avec vous, nous portons les armes avec vous,… » et il ne semblait ni s’en étonner ni s’en indigner.

C’est qu’en effet la doctrine officielle de l’Eglise, dès la fin du IIe siècle, très différente des rêveries de quelques théoriciens, ne ferme aux fidèles ni l’entrée de la caserne ni l’accès des champs de bataille. Les exemples de soldats chrétiens sont innombrables, et bientôt les docteurs les plus autorisés vont les justifier en formulant les règles de légitimité de la guerre. Saint Basile avoue que l’on ne peut compter comme meurtres véritables ceux qui se commettent dans les batailles. Saint Ambroise, non seulement accepte, mais recommande la guerre qui a pour but de repousser l’injustice, de défendre la patrie. Lui faisant écho, saint Jean Chrysostome approuve la lutte que « les soldats de chez nous »