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et la guerre : dans les deux premiers chapitres, l’un, écrit par Mgr Batiffol, sur « les premiers chrétiens et la guerre, » l’autre, dû à M. Paul Monceaux, sur « saint Augustin et la guerre, » on trouvera recueillis et discutés les textes les plus importans qui se rapportent à ce sujet. La matière qu’ils ont traitée ne se confond, du reste, pas tout à fait avec celle qui nous occupe : le problème de la guerre n’est pas identique à celui du patriotisme ; il n’en est qu’une partie, la plus délicate peut-être, et, si l’on peut dire, la plus aiguë, mais une partie seulement. En outre, dans les prohibitions dont certains docteurs chrétiens ont accablé le métier des armes, il y aurait lieu de faire une place à des motifs dans lesquels la préoccupation humanitaire n’entre pour rien : lorsqu’ils défendent au fidèle d’être officier, parce qu’il lui faudrait offrir des sacrifices aux dieux du paganisme, ou d’être soldat, parce qu’il lui faudrait jurer par le nom de César, il est trop clair qu’une pareille décision, suggérée par des circonstances historiques particulières, n’a pas de portée pour le cas de conscience, bien plus général, que nous étudions. Ce veto s’oppose à l’armée païenne, non à toute armée. Une fois ces réserves faites, nous restons en présence d’un très grand nombre de témoignages, divers par leur origine et leur date, parfois contradictoires, et tous utiles à considérer, si l’on veut savoir comment est apparue, aux consciences chrétiennes des premiers siècles, l’antinomie entre la patrie et l’humanité.

De tous ces témoignages, il nous semble que deux choses se dégagent par-dessus tout. D’abord, c’est la tendance humanitaire et pacifique qui est, sinon formellement affirmée, au moins implicitement contenue dans la plupart des textes de la littérature chrétienne. La doctrine du christianisme primitif condamne, non seulement la guerre, mais toute haine, toute discorde, tout esprit de différence entre les nations, et cela pour une double raison : raison de morale collective, et raison de morale personnelle. Tous les hommes sont frères, comme créés par le même Dieu et rachetés par le même Messie, et chaque homme, en particulier, doit être toute douceur, et envers tous, afin de reproduire en lui, autant qu’il est possible, l’infinie douceur du Père divin. Il y a là des préceptes qui, entendus au sens strict et absolu, pouvaient autoriser une conception des rapports entre nations radicalement contraire aux idées romaines, même