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provinces du domaine royal. « Ne pas toucher aux choses d’Alsace » est dès lors la maxime favorite du pouvoir central. Le principe fécond de la politique de Colbert de Croissy, c’est que le roi de France doit représenter l’intérêt public contre les intérêts égoïstes des petits organismes locaux. L’Alsace, au sortir de la guerre de Trente Ans, éprouvait surtout le besoin d’un pouvoir fort, juste, supérieur aux querelles de clocher. Elle demandait à ce pouvoir de la préserver de nouvelles guerres, d’aider à sa convalescence en faisant régner l’ordre et la justice, de maintenir le statu quo religieux, de favoriser le repeuplement du pays et sa remise en culture. À cette œuvre le nouvel intendant apportait une bonne volonté qui n’était pas un vain mot, et une volonté qui ne se montrera inférieure à aucune difficulté. Les huit années de son administration (1655-1663) ne sont troublées par aucune guerre ; l’impôt royal pour toute l’Alsace est fixé en 1660 à 60 000 livres seulement ; la population se relève par un afflux d’immigrans que favorise un Édit de novembre 1662, offrant des concessions de terres aux catholiques du dehors pour les attirer. Ce dernier point lui tenait fort au cœur, comme on le voit par un rapport de 1657, où il demandait un allégement d’impôt, « pour conserver du moins les habitans que l’on a présentement, puisque les guerres que le Roi a à soutenir ne permettent pas qu’on les puisse assez soulager pour en attirer d’autres… »

Il y avait là des bienfaits réels auxquels l’Alsace ne restait pas insensible, et à la faveur desquels les travaux d’approche de l’administration française, en vue d’un rattachement plus direct au royaume, se poursuivaient sans froissemens ni violences vaines. La royauté ne demandait pas mieux que de respecter, à titre archéologique si l’on peut dire, tous ces microcosmes politiques rendus vénérables par un passé souvent glorieux, plus souvent encore douloureux. Elle pouvait laisser sans danger aux vieilles dynasties terriennes, comme aux oligarchies municipales des villes impériales, les détails administratifs et judiciaires de second ordre, pourvu que les unes et les autres fussent dociles et souples aux directions générales venues d’en haut. Grâce à cet effacement apparent des autorités royales, les couches profondes de la population, surtout dans les campagnes, « se ressentent à peine de l’existence d’un ordre nouveau et n’ont que de rares points de contact avec les représen-