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gouvernement impérial va s’inspirer, et souvent on travestit la période des conquêtes parce qu’on veut en faire, coûte que coûte, la préface de la « paix romaine. »

La paix romaine : ce n’est point ici le lieu d’énumérer tous les procédés par lesquels l’Empire est arrivé à en faire une réalité ; nous voudrions seulement faire observer que, chez les écrivains qui en ont donné, si l’on peut dire, la formule, elle se présente toujours avec les deux caractères que nous avons déjà remarqués. Ils semblent tous également convaincus de la nécessité d’un pouvoir très fort au centre, et de celle d’une grande harmonie, loyale et pacifique, entre ce pouvoir et les divers membres de l’organisme impérial. Le rhéteur inconnu qui, dans les prétendues lettres de Salluste à César, a tracé un des premiers le programme du nouveau gouvernement, ne veut pour Rome ni d’une autorité affaiblie, ni d’une autorité égoïste. « Si quelque maladie ou quelque fatalité la faisait succomber, dit-il, ce serait aussitôt, dans la terre entière, la dévastation, la guerre et le massacre ; » et c’est pour le bien des provinces, autant que pour celui de la capitale, qu’il conseille au chef de l’Etat de faire une large place aux meilleurs citoyens des pays conquis. — Le discours de Mécène à Auguste chez Dion Cassius, — discours apocryphe, bien entendu, mais fabriqué par un homme initié aux desseins de la politique impériale, — reproduit le même conseil, et le justifie par les mêmes argumens : « Plus tu réuniras autour de toi d’hommes distingués, plus il te sera facile de gouverner ; » voilà pour l’autorité romaine, et voici maintenant pour les autres peuples : « Les nations sujettes se convaincront que nous ne les tenons ni pour esclaves, ni pour inférieures ; je voudrais même qu’on pût donner à tous les alliés le droit de cité ; ils se croiraient alors enfans de la même ville que nous, et ne regarderaient plus leurs lieux d’origine que comme des campagnes ou des bourgades de Rome. » — Avec moins d’emphase, en sa langue rude et concise, Tacite exprime des pensées analogues dans la harangue qu’il prête à Cérialis devant les Trévires révoltés. Ce Cérialis est un général, non un « phraseur » (neque ego unquam facundiam exercui), il sait que le peuple romain a conquis par, les armes l’empire sur les Gaules, et, bien loin de renier ce passé de gloire militaire, il commence par le rappeler à ses auditeurs. Seulement, il leur montre que cette domination conquise par