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romain. Immédiatement on les jette en prison. Un conflit s’élève entre les deux généraux : l’un, Claudius, enclin à quelque clémence, l’autre, Fulvius, partisan d’une répression rapide et terrifiante. Celui-ci, de peur que par hasard le Sénat ne donne raison à son collègue, se hâte de faire égorger les prisonniers. Mais il a eu bien tort de se défier du Sénat : ses actes sont ratifiés ; on lui renouvelle ses pouvoirs ; les Campaniens qui survivent se voient tous confisquer leurs biens ; les uns sont emprisonnés, d’autres vendus comme esclaves, les autres déportés loin de leur pays. Il faut lire dans Tite-Live tout ce récit ; la précision sèche et froide avec laquelle toutes ces rigueurs sont énumérées en dit bien long sur les sentimens de Rome envers les peuples vaincus, plus long que ne feraient les déclamations les plus pathétiques.

Quelquefois les conquérans pardonnent, souvent même. Les historiens postérieurs vanteront la générosité du peuple roi, qui a laissé subsister tant de nations jadis ses ennemies, qui les a même protégées et rendues plus heureuses qu’elles n’étaient auparavant. Il est bien vrai en effet que la victoire n’a pas toujours amené le massacre et la dévastation. Rome n’a pas fait de l’univers soumis un immense désert, ni un immense tombeau. Elle a su, selon l’un des plus beaux vers de son plus grand poète, « épargner les vaincus » autant que « vaincre les rebelles, » parcere subjectis et debellare superbos. Mais sa clémence est, si l’on peut dire, une clémence de lion, capricieuse et dédaigneuse, égoïste en son fond, et toujours provisoire, toujours sujette à de terribles démentis. Les grâces qu’elle accorde, aussi bien que les supplices qu’elle inflige, sont arbitraires, dépendent de son humeur variable ; ce sont des boutades, qui s’accompagnent souvent d’ironie. Rappelons-nous la macabre plaisanterie de Caton l’Ancien au sujet des otages achéens qui demandaient à rentrer dans leur pays : « Est-ce la peine de délibérer toute une journée pour savoir si quelques vieux bonshommes seront enterrés par les fossoyeurs grecs ou par les nôtres ? » Une faveur concédée en ces termes est plus inhumaine qu’un refus. — Il arrive fréquemment que le gouvernement romain ait des motifs sérieux pour laisser aux peuples soumis une indépendance relative, mais ce sont toujours des motifs d’intérêt : c’est parce qu’il a besoin de telle cité pour son commerce, ou pour lutter contre tel roi voisin, qu’il la traite en « amie et alliée. » Ce n’est pas