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soient-ils, d’une mentalité différente. S’ils ne promettent pas l’évolution future comme certaine, ils la réservent comme possible. Ce sont des germes, qui peut-être un jour s’épanouiront. A vrai dire, pendant très longtemps, ils ne semblent guère devoir s’épanouir. Les premiers siècles de l’histoire romaine nous montrent un peuple de lutte et de proie, orgueilleux et avide, défiant dans la paix, acharné dans la guerre, féroce dans la répression, tyrannique dans le commandement. Toutes les vertus patriotiques, courage, discipline, esprit de sacrifice et d’abnégation, y sont portées à leur apogée : mais les vertus humaines y manquent, non seulement la pitié ou la douceur, mais la justice même et la bonne foi. En dehors de tout état de guerre, l’étranger est un homme pour lequel il n’y a pas de droit ; la loi des Douze Tables, rédigée pourtant à une époque où déjà les mœurs se sont adoucies et les idées transformées, stipule encore que contre lui le champ des revendications est perpétuellement ouvert, tandis que les citoyens peuvent s’abriter derrière la prescription : adversus hostem aeterna auctoritas esto. Si la guerre éclate, c’est toujours sans aucune préoccupation d’équité morale, et rien n’est plus caractéristique que l’expression justum bellum, sur laquelle nos idées modernes nous feraient si volontiers faire un contresens : une guerre est « juste » pour les anciens Romains, non lorsqu’elle est bien fondée en droit, mais lorsque les formalités prescrites par le rituel ont été observées, les paroles prononcées, les sacrifices accomplis, et la déclaration d’hostilité régulièrement signifiée par les féciaux ; leur unique souci est de se mettre en règle avec les dieux, afin de ne pas encourir leur défaveur par une négligence, mais ils s’inquiètent peu de la légitimité de leur cause. — Passons sur la guerre même : il est trop clair qu’elle entraîne alors avec elle toutes les cruautés et toutes les perfidies nécessaires, et même un bon nombre qui ne le sont pas. Mais, après la victoire, la haine nationale ne désarme pas ; le droit de conquête, absolu chez les anciens, est exercé dans toute sa rigueur. Ne remontons pas jusqu’aux temps les plus proches de la barbarie primitive : voyons ce qui se passe deux siècles avant notre ère, à une époque où la dureté romaine a déjà été quelque peu entamée par la civilisation. Regardons, par exemple, les mesures prises après la reddition de Capoue. Les sénateurs de la ville vaincue viennent faire leur soumission dans le camp