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HUMANITARISME ET PATRIOTISME
DANS L’ANCIENNE ROME[1]

Parmi tous les conflits d’idées qui peuvent tourmenter la conscience des hommes d’aujourd’hui, il n’en est guère de plus grave, de plus délicat, — et, à certaines heures, de plus douloureusement angoissant, — que celui qui met aux prises les deux notions de « patrie » et d’ « humanité. » Car il se peut bien, sans doute, que ces mots admirables servent quelquefois de prétextes à des passions médiocrement dignes d’estime : n’importe ! les contrefaçons qui usurpent le nom des plus nobles sentimens ne sauraient en obscurcir le prestige sacré. Le dévouement civique et la fraternité humaine restent deux obligations primordiales, qu’il est parfois difficile de concilier, mais dont il est encore plus impossible de sacrifier l’une ou l’autre. — Ce cas de conscience, si actuel, n’est cependant pas nouveau. Les civilisations antérieures ont pu le connaître, au moins le soupçonner. Et l’historien qui examine le passé à la lueur des préoccupations contemporaines, — non pour le plaisir d’imaginer des rapprochemens puérils ou artificiels, mais pour suivre à travers les siècles le flux et le reflux

  1. L’article qu’on va lire est écrit depuis un an : il serait donc très vain d’y chercher des allusions que l’auteur ne pouvait y mettre. — Mais, ceci dit, il ne peut que s’applaudir de ce que ces pages voient le jour au moment où les socialistes modernes, comme les stoïciens antiques, démontrent que l’amour de l’humanité n’atrophie pas forcément celui de la patrie, — au moment surtout où les soldats français, comme jadis les légionnaires romains, défendent à la fois le sol natal et la civilisation universelle contre les éternels Barbares.