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polémique entre savans allemands et savans français sur l’étendue et la nature des droits et des territoires cédés au roi de France par le traité de Munster. Il nous suffit d’avoir fait remarquer l’état de division et d’émiettement dans lequel se trouvait l’Alsace à ce moment. À proprement parler, il n’y avait pas d’Alsace, mais un fouillis alsacien, ce qui devait à la fois faciliter et compliquer le travail d’incorporation de cette province à la patrie française.


II

Le caractère propre de l’Alsacien à travers les âges, c’est la passion raisonnée de l’indépendance, — non pas tant de l’indépendance nationale, dont il n’a jamais pu être sérieusement question pour un pays si restreint et si tardivement unifié, que de l’indépendance personnelle, fièrement accrochée au beffroi municipal, au clocher paroissial, au foyer familial. Sur ce terrain, la monarchie française, même à une époque de centralisation croissante comme le dernier siècle de l’Ancien Régime, ne choquait pas à plaisir les habitudes comme le font trop souvent nos États modernes, incapables ou dédaigneux d’assouplir leurs méthodes gouvernementales et administratives aux susceptibilités les plus légitimes de leurs nouveaux sujets.

L’absolutisme d’un Louis xiv n’était pas tatillon. « La tradition, dit M. Madelin, était l’âme de ce régime. » Son principe conservateur l’inclinait à respecter les institutions locales, tant qu’elles n’étaient pas une entrave à « l’autorité du Roi » ; toute coutume lui était à première vue sympathique, si elle se pliait au « service du Roi » ; tout particularisme était toléré qui ne portait pas atteinte à l’unanimité de « l’obéissance due au Roi ». Des complications, singularités et contradictions qui résultaient de la paix de Westphalie, le Roi pouvait donc s’accommoder et tirer même avantage. En fait, durant un quart de siècle, la royauté française resta hésitante entre les deux voies que le traité de Munster lui laissait ouvertes : une politique alsacienne ménageant les attaches impériales de la province et offrant au Roi des occasions continuelles d’intervenir dans les affaires de l’Allemagne, ou une politique d’extension des droits du Roi tendant à faire prévaloir l’interprétation française des clauses équivoques du traité de 1648.