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IV

Après la bataille de Weerde, l’armée belge se réfugie sous la protection d’Anvers. Powell l’y suit. Les Allemands, que ne gêne plus aucun obstacle dans le Nord de la Belgique, se hâtent d’investir le camp retranché où ils comptent bien prendre le roi Albert et ses troupes dans un nouveau Sedan. Et, sans retard, le bombardement commence. Les grosses pièces autrichiennes sont abritées derrière le remblai du chemin de fer de Louvain à Malines, que les envahisseurs avaient défendu avec acharnement pour donner au génie le temps de construire les terrasses bétonnées, qui peuvent seules supporter ces mastodontes. Ainsi tenues hors de la portée des canons des forts, elles bouleversent les ouvrages, anéantissent sans danger pour l’assiégeant les élémens avancés de la place. L’effet destructeur de ces projectiles monstres était une révélation pour un grand nombre d’habitans qui croyaient leur ville imprenable. Le correspondant du New York World ne manque pas de courir partout, même aux endroits les plus exposés, pour noter les progrès de l’attaque, l’héroïsme de la défense, les conditions de la lutte. Celle-ci, déjà, lui parait fort inégale : «… Les Allemands tiraient à une distance de 8 milles, tandis qu’aucune des pièces belges ne portait à plus de 6. Ajoutez à cela la remarquable précision du tir des Allemands, réglé par des aérostiers, et les propriétés éminemment destructives des explosifs de leurs obus, explosifs plus terribles que la cordite et la mélinite, et vous comprendrez à quel point la défense de la position belge était fatalement illusoire… » Les « express d’Anvers, » — c’était le nom donné par les soldats a ces « marmites » de taille exceptionnelle, — justifiaient par les faits le pessimisme du reporter. Geysers de terre projetée à 70 ou 80 mètres de hauteur, village entier démoli comme un château de cartes par le souffle d’un obus, hécatombes humaines à chaque coup heureux, ne sont pas imaginés par un témoin à qui l’émotion aurait fait perdre le sens des réalités. C’est par de menus détails simultanément notés que Powell authentique son récit. Ainsi « la cargaison trempée de sang » de l’auto d’une brave dame américaine qui va chercher des blessés jusque dans les décombres du fort de Waelhem, la petite brouette et l’agneau blanc du pauvre