Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dis-je, mais je ne puis accepter. Vendez tout ce que vous voudrez, et l’on paiera sur-le-champ. — Pourquoi donc ! J’ai plaisir à donner à des Français ce qui, demain, serait pillé par les Allemands. — Le résultat serait le même. Vendez donc aujourd’hui, puisqu’il est temps encore. Ce sera autant de sauvé ; votre ruine sera moins complète. » Mais je ne réussis pas à le convaincre sans un long débat. Il ne pouvait se faire à l’idée d’une vente qui froissait son patriotisme délicat. Quand je lui eus exposé la richesse des ordinaires, quand il comprit qu’une forte saignée à des bonis copieux n’appauvrirait pas les capitaux personnels des troupiers et que les chefs de popote des officiers ne regardaient pas à la dépense, alors seulement il accepta le principe des compensations. Mais, grâce aux prix qu’il imposa, la cession contre argent ne fut guère que le don déguisé des meilleurs produits de son domaine. Le lendemain, on se battait autour des bâtimens, et la ferme entière flambait sous les obus des deux partis. Je n’ai plus revu ce magnanime homme des champs. Peut-être, après la victoire finale, sera-t-il indemnisé de sa ruine. Kl que d’histoires analogues je pourrais raconter en égrenant mes souvenirs !

Alexander Powell aussi, sans doute ; cependant, il ne s’y attarde pas. La misère des campagnards belges l’attriste, mais elle l’indigne moins que le sort de Malines, bombardée sans répit et sans nécessité. La cathédrale, surtout, était visée par les Allemands qui « semblaient prendre un acre plaisir à diriger leur feu sur le vénérable édifice… Comme, à ce moment-là, il n’y avait pas de troupes belges dans Malines, ce que les Allemands savaient fort bien, ce bombardement de ville ouverte et la destruction de ses monumens historiques me parurent des actes particulièrement cruels et qu’aucune nécessité militaire ne réclamait. Mais il va sans dire que ces dévastations faisaient partie intégrante de la politique allemande de terrorisme et d’intimidation. Avec le massacre des civils, elles constituaient la rançon à payer par les Belges pour expier la résistance à l’envahisseur. »

Cette fois encore, les généraux de Guillaume II raisonnaient mal. Au lieu de réduire leurs adversaires à merci, une telle sauvagerie les exaspéra. Vers la mi-septembre, leur armée de campagne se rue de nouveau à l’attaque. Et la bataille de quatre jours qui en est la conséquence causa peut-être l’échec définitif