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sensible l’horreur des choses. Nous croisions une petite fille de neuf ou dix ans, et j’arrêtai mon auto pour la questionner sur notre route. A l’instant, elle leva les mains au-dessus de sa tête, et se mit à crier en demandant grâce. Après que nous lui eûmes donné du chocolat et de l’argent, en l’assurant que nous n’étions pas des Allemands, mais des Américains, des amis, elle s’enfuit comme une biche effarouchée. Cette enfant aux yeux agrandis par l’épouvante, et ces mains qui imploraient encore, quelle vivante et terrible pièce à conviction contre les Allemands ! »

Mais Powell n’a pas fini de s’indigner. La route d’Aerschot à Bruxelles traverse Louvain. Et Louvain, plus qu’Aerschot et autant que Termonde, prouve le savoir-faire des envahisseurs. Pourtant, avec une impartialité méritoire, il publie la version des victimes et celle des Allemands sur les ruines de la malheureuse cité. Il pousse même le scrupule jusqu’à reproduire son dialogue avec un général de haut parage qui explique les divers épisodes du drame par la nécessité de justes représailles et l’imprudente curiosité des femmes et des enfans ! Tout cela, d’ailleurs, ne parait pas bien convaincant au reporter qui le confesse, avec sa répugnance pour de telles sauvageries. Que les Belges aient conspiré, — ce qui est peu probable après l’exemple d’Aerschot, — que les Allemands, pris de panique après un combat malheureux aux environs, se soient fusillés les uns les autres dans les rues de la ville, et se soient vengés sur les habitans pour expliquer congrûment aux étrangers leur méprise, on ne peut admettre, en pleine Europe, des actes de guerre qu’aurait désavoués Samory. D’après des témoins oculaires, Américains comme lui, Powell affirme que le sac de Louvain dura deux jours. Or, Napoléon Ier, qui n’était pas tendre, ayant eu des motifs aussi impérieux de châtier Ratisbonne, fit cesser par dégoût, au bout d’une heure, le pillage dont il avait d’abord fixé la durée à un jour. Les généraux allemands répondraient peut-être, à cet argument, qu’ils ne sont pas Napoléon. Hé ! nous le savons bien.

Que parfois, dans les districts envahis, des actes inopportuns ou maladroits aient pu servir de prétexte à des répressions, qui d’ailleurs en tout cas furent barbares, nul ne songe à le nier. Avec un souci de bonne foi évident, Alexander Powell porte les bonnes actions, quand il en voit sur sa route, à l’actif des