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même, à l’avouer, une joie maligne qui le venge bien des émois causés par les bombes des zeppelins.

D’ailleurs, s’il est sévère pour les randonnées meurtrières du dirigeable qui bombarde une ville endormie, les vols audacieux des aéroplanes le trouvent plus indulgent. Les aviateurs opèrent au grand jour, tandis que les ballonniers ont besoin de la nuit pour perpétrer leurs crimes ou leurs tentatives criminelles. Ils n’agissent que par surprise, tandis que les premiers s’exposent franchement aux coups.

Certes, sans manquer au patriotisme, on peut reconnaître aux aviateurs allemands des qualités louables. Aux débuts de la guerre, ils s’efforçaient de prouver que les critiques faites chez nous par l’Œuvre et par le sénateur Reymond étaient fondées. Sans cesse, ils volaient sur nos colonnes et dénonçaient en temps opportun les emplacemens de nos troupes et de nos batteries. Dans la région où je me trouvais, leur maîtrise de l’air paraissait incontestable et ils recouraient parfois aux manœuvres les plus téméraires pour obtenir des renseignemens. Un jour, pendant la retraite vers la Marne, ma troupe avait formé l’arrière-garde d’une de nos colonnes et, le soir venu, elle prenait sa part du service de sûreté. Après l’inspection du secteur, je rentrais à cheval vers le cantonnement de la réserve quand, tout à coup, une fusillade rapide et brève se fait entendre derrière moi. C’était un poste détaché qui tirait sur un Taube.

L’avion s’était envolé d’un champ voisin, caché par des oseraies et des pépinières. Les tireurs furent assez heureux pour le descendre comme il était environ à 50 mètres de hauteur. J’arrivai à temps pour voir la capture de l’aviateur qu’un lieutenant se préparait à interroger, tandis que les soldats surexcités menaçaient de lui faire un mauvais parti. Leur fureur avait pourtant une excuse : près d’atterrir, l’Allemand avait déchargé son pistolet à signaux pour éviter quelque accident, et les troupiers croyaient qu’il s’était livré à de diaboliques manigances. Je laissai là mon cheval et j’emmenai le prisonnier, un capitaine à la carrure impressionnante, galant homme d’ailleurs. A nous voir partir ainsi tout seuls à travers la campagne, mes guerriers conçurent sur mon sort des inquiétudes qu’ils rendaient vraiment trop visibles. En cheminant, je questionnai mon compagnon involontaire sur les causes de son évidente témérité.