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voient ce que les grands acteurs voudraient cacher, masquer ou nier. Ils savent transmettre à l’extérieur le résultat de leurs observations. Si, par aventure, ils sont neutres dans le conflit de deux races, de deux cultures ou de deux mentalités, leurs témoignages sont particulièrement précieux. Ils confirment ou contredisent les versions officielles, détruisent ou propagent des légendes, étouffent ou proclament la vérité. Quand leur neutralité politique se double de bonne foi, ils éclairent l’opinion universelle que les belligérans prennent toujours pour juge et qui, sans eux, donnerait raison au plus fort, sinon au plus bruyant. Quand, à leur bonne foi, s’ajoute la générosité du cœur, leurs comptes rendus deviennent cinglans comme des réquisitoires, et c’est le verdict de la postérité qu’ils annoncent par avance dans leurs journaux.


II

Alexander Powell, correspondant spécial du New York World, est un de ceux-là. Son livre : La Guerre en Flandre[1] est le résumé tout chaud des observations faites d’après nature, malgré les obstacles les plus divers. Dans quel esprit ? Il nous le dit lui-même, dès la préface : « …Citoyen américain, je me rendis en Belgique au début de la guerre, sans idées préconçues… J’avais également pratiqué Anglais, Français, Belges, Allemands. Je comptais des amis dans les quatre pays et je gardais l’agréable souvenir de jours heureux passés chez chacun d’eux Quand je quittai Anvers, après l’occupation, j’étais devenu aussi belgiophile que si je fusse né à l’ombre du drapeau rouge, noir et jaune… » Évidemment, un homme pondéré ne change pas ainsi de sentiment sans raison.

Powell arrive en Belgique dès les premiers jours d’août. Des centaines de journalistes l’y ont précédé : professionnels pourvus d’une longue expérience ; amateurs qui guettaient l’occasion de forcer les portes de la grande presse par un article sensationnel ; snobs qui venaient suivre les péripéties d’une lutte plus intéressante que des matches de boxe ou de foot-balL Il y avait des inconsciens, comme cette jolie Anglaise qui se poudrait le visage sous les éclats d’obus, en admirant un

  1. Traduit de l’anglais par Gérard Harry ; 4 vol. in-8o, Larousse, éditeur.