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pas moins une vive opposition, qui aurait entraîné la chute du ministère, si le Roi n’avait préféré dissoudre le Parlement.

Le résultat des élections prochaines sera sans doute conforme aux désirs du Prince Louis, qui saisit avec empressement cette occasion nouvelle d’affirmer son républicanisme. La Reine voit au contraire dans les habitudes de discipline et dans le respect de l’autorité les causes de l’ordre, de la propreté, de la symétrie qui règnent tout autour de nous.

Elle est tout heureuse de connaître enfin l’Angleterre, vers laquelle quelque chose l’attirait depuis longtemps. En 1814, étant alors aux bains de Dieppe avec Louise Cochelet, elle avait formé le projet de passer incognito le détroit et de faire une équipée de l’autre côté ; dans cette pensée, elle étudiait assidûment la grammaire anglaise, elle apprenait par cœur des dialogues que Louise lui faisait répéter ; mais elle se dégoûta à la fin de cette aventure, où la médisance aurait trouvé de quoi s’exercer. Bien lui en prit, car, la fièvre jaune s’étant déclarée peu après en Angleterre, tous les bateaux qui en revenaient furent condamnés à faire quarantaine au Havre : elle aurait donc eu toutes les peines du monde à rentrer en France et serait restée pendant de longs jours séparée de ses enfans.

Elle dit que ce pays lui rappelle un peu la Hollande ; il en efface pour elle le triste souvenir par l’impression du confort et le charme de la liberté. Les routes sont admirables, peut-être parce qu’elles ne sont pas gâtées par le roulage et que le commerce se fait surtout par voie d’eau ; de beaux puits les bordent et font du voyage une sorte de promenade dans un jardin. Les chevaux de poste passeraient ailleurs pour des chevaux de luxe. L’art de les mener est si répandu qu’au départ de Cantorbery, le 11 mai, c’est un enfant de dix ans qui nous conduit. Nous allons d’une allure calme et sûre, les animaux étant ici sages comme les gens. La raideur amusante de notre petit postillon ne nous fait pas regretter de voyager moins vite qu’en France et qu’en Italie, surtout. Mais, tandis que j’admire ces deux longues rangées de maisons pareilles, qui vont d’une distance immense jusqu’au pont de la Tamise, le Prince s’étonne de ne voir dans les rues que quelques équipages à livrées antiques, à valets poudrés, peu de piétons, et force diligences dont les sièges sont si hauts que les voyageurs assis dessus ont l’air d’être debout. Il s’amuse à dire que la population anglaise ne