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sentiment quand ils l’ont vu se dresser devant le monde dans un geste où il n’y avait pas seulement une défense, mais aussi une accusation. Le jour même de sa chute, une plainte amère est sortie de sa bouche : il a exprimé la crainte que la Grèce ne perdit quelque chose des conquêtes qu’elle avait faites et auxquelles il avait lui-même puissamment contribué. Bientôt la nécessité d’élections nouvelles est apparue. M. Venizelos a annoncé alors qu’il exposerait toute sa politique, qu’il dirait tout ce qu’il avait voulu faire, qu’il mettrait la Grèce en mesure et en demeure de juger. On s’en est effrayé, et il était difficile qu’il en fût autrement, car le Roi était impliqué dans l’affaire. N’est-ce pas lui qui, à tort ou à raison, a arrêté M. Venizelos dans sa marche et l’a obligé à démissionner ? Nous ne jugeons pas ici, nous nous bornons à raconter. Le Roi n’avait assurément rien fait d’inconstitutionnel, mais il s’était découvert, et l’avenir seul dira s’il n’y a pas eu là de sa part un acte imprudent.

Les nouveaux ministres n’étaient pas les adversaires personnels de leur prédécesseur ; ils n’auraient sans doute pas mieux demandé de se taire sur le dissentiment qui s’était élevé entre le Roi et lui ; mais, M. Venizelos ayant parlé, il a fallu lui répondre. Qu’avait-il dit ? Ses explications peuvent se résumer en quelques mots. Sans cesse soucieux de la grandeur de la Grèce, mais tenant compte des circonstances présentes et de leur évolution nécessaire, il a estimé que, pour avoir plus, il fallait sacrifier à propos quelque chose et qu’il serait sans doute impossible d’obtenir en Asie les territoires, habités par une population hellénique, qui compléteraient les nouvelles possessions insulaires de la Grèce, si on ne consentait pas à abandonner une partie, une faible partie, de ce qu’on avait conquis en Europe. Abandonner à qui ? A la Bulgarie.. Sans doute cela était dur, mais la politique a des exigences auxquelles on doit savoir se plier. Il est à croire que M. Venizelos a été encouragé dans cette voie par les Puissances de la Triple-Entente, désireuses de s’assurer ainsi la neutralité, toujours si incertaine et instable, de la Bulgarie. M. Venizelos avait consenti à céder ce port de Cavalla, qui a été déjà l’objet de tant de contestations et qui, sans doute, ne lui semblait pas indispensable à la Grèce sur une mer où elle avait d’autres débouchés. Nous sommes, sur ce point spécialement, disposé à croire que M. Venizelos avait raison. Bref, il aurait cédé en Europe un district de 2 000 kilomètres carrés pour en avoir 140 000 en Asie : tout le monde accepterait un pareil échange. Ce n’est pas tout : il existe, parait-il, un engagement entre la Grèce et la Serbie,