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de sacrifice, les mêmes vertus et la même foi qui ont fait sa grandeur à travers les siècles.


Dans cette revue de leur répertoire patriotique, que semblent faire actuellement les théâtres, était-il possible que François Coppée n’eût pas sa place ? La Comédie-Française, en s’annexant un petit acte de circonstance écrit en 1871, Fais ce que dois, nous permet d’évoquer au moins le souvenir du bon poète, qui, aux heures douloureuses, trouva des accens si poignans et, depuis lors, se donna pour mission de célébrer l’héroïsme national et d’entretenir le feu sacré. Comme un autre poète, Paul Déroulède, il est mort trop tôt et n’a pu saluer l’aube même de la revanche. Il suffit qu’il n’ait jamais cessé ni d’y penser, — ni d’en parler.

C’est à l’Odéon que fut joué pour la première fois Fais ce que dois. Le principal rôle était tenu par une actrice qui commençait à percer : Mlle Sarah Bernhardt. C’est celui d’une femme, dont le mari a été tué à l’ennemi et qui ne veut pas qu’un jour la France lui prenne encore son fils. Alors elle va émigrer avec l’enfant. Elle l’emmènera dans un pays où l’on ne se bat pas : elle le fera Américain, afin qu’il ne soit pas soldat. Pensée impie, mais affolement d’une heure. Il suffira d’une parole énergique pour faire rentrer le sentiment du devoir dans ce cœur de Française. Un maître d’école, Daniel, survient à temps pour qualifier ce départ comme il le mérite : une désertion. Touchés par sa mâle éloquence, la veuve et l’orphelin resteront en France : ils feront ce qu’ils doivent.

… D’ailleurs, les craintes de Marthe étaient vaines. Quarante-quatre ans ont passé, la guerre a éclaté de nouveau : son fils ne s’est pas battu. En 1870, il avait quatorze ans : en 1914 il en a cinquante-huit. La première fois, il était trop jeune : cette fois-ci, il est trop âgé. Lors de la défaite, il y a assisté en témoin débile, assez grand pour comprendre et pour souffrir. Au jour de la victoire, il aura ce chagrin de n’y avoir pas contribué. Les autres sont au péril et il est à l’abri. Eux sont dans les tranchées ; il est, lui, confortablement, dans sa chambre, à sa table de travail, dans un bureau de rédaction ; il écrit des articles de journaux, il célèbre des actes de courage qui lui font honte ; aux mille tortures de l’heure présente, aux inquiétudes, aux soucis se mêle pour lui la tristesse humiliante de son impuissance… Mais qui sait ? Il a son père à venger. Il a reçu l’enseignement d’un instituteur patriote. Il a été l’ami de François Coppée. Il se peut bien que, dès les premiers bruits de guerre, il ait