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désarmait pas. L’approbation tacite qu’il donnait aux excitations du parti militaire fournissait la preuve que, de plus en plus, il inclinait à se rallier aux vues de ce parti et à réaliser ses projets belliqueux.

Toutefois, pour en justifier la réalisation aux yeux de l’Europe, il fallait un prétexte. Le prétexte lui fut fourni au mois de mars. Le 12 de ce mois, l’Assemblée nationale française votait la loi de réorganisation militaire connue sous le nom de « loi des cadres. » On se rappelle qu’elle avait pour objet d’augmenter d’un bataillon nos régimens d’infanterie. Mais il était entendu que désormais chaque bataillon, au lieu de compter comme par le passé six compagnies, n’en compterait plus que quatre. La nécessité d’utiliser un nombre assez considérable d’officiers, restés sans emploi après la guerre, avait dicté cette mesure qui, tout en augmentant le nombre des bataillons, ne changeait rien aux effectifs numériques de l’armée. Du reste, en eut-il été autrement, le gouvernement français n’en eût pas moins été dans son droit, aucune disposition du traité de Francfort ne s’opposant à la reconstitution de ses forces défensives si gravement atteintes par la guerre de 1870. Mais de ce droit, qui ne pouvait lui être contesté, il n’usait pas dans la loi nouvelle. La transformation de ses régimens ne pouvait être interprétée comme la préparation à une attaque contre l’Allemagne. Tel fut cependant le prétexte que saisit le chancelier pour exciter contre la France les organes officieux de la presse germanique.

La Post de Berlin, la Gazette de Cologne, la Gazette de l’Allemagne du Nord, dénonçaient ce qu’elles appelaient les arméniens de la France. L’un de ces journaux demandait si la guerre était en perspective et répondait affirmativement à la question qu’il s’était posée. Un autre déclarait que l’augmentation apportée à l’effectif par la nouvelle loi était « colossale » et que ce fait, rapproché du vote de la Constitution qu’on pouvait considérer comme la fin de la lutte des partis, devait ouvrir les yeux à l’Allemagne. Les autorités militaires prussiennes ne tenaient pas un autre langage. Elles alléguaient que, la guerre étant inévitable, l’intérêt de l’Allemagne lui commandait de prendre l’offensive avant que la France fût en état de l’attaquer. Aussi violente qu’inattendue, cette levée de boucliers prenait de telles proportions que les feuilles anglaises se demandaient