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UN TÉMOIGNAGE ALSACIEN SUR L’ALSACE-LORRAINE.

vèrent en Algérie. » Une centaine de villages furent en grande partie peuplés par elles ; plusieurs ont conservé leur nom alsacien, Strasbourg, Rouffach, la Robertsau. Quelques-uns, comme Belle-Fontaine, où s’installèrent en 1871 les premiers immigrans d’Alsace-Lorraine, des cultivateurs de profession pour la plupart, eurent une existence relativement facile. D’autres, comme Bou-Khalfa, dont le recrutement, au début, sous la direction de Jean Dollfus, ne fut pas assez agricole, ont eu moins de chance, et ses habitans ont eu parfois quelque peine à vivre. D’autres, comme Haussonvillers, à 82 kilomètres à l’Est d’Alger, après quelques difficultés à leurs débuts, ont réussi, grâce à l’excellence de leur recrutement, à se maintenir et à se défendre contre la forte poussée arabe. D’autres enfin, comme le Camp-du-Maréchal, qui fut fondé à loisir, en 1879, profitèrent de l’expérience acquise, et purent se développer et prospérer sans avoir à souffrir des tâtonnemens que connurent les précédens immigrés. Rien de plus curieux que de retrouver, en pleine Algérie, les usages et les traditions de l’Alsace : l’aspect des cultures, la disposition des maisons, les belles processions de la Fête-Dieu, surtout enfin les souvenirs, les idiotismes, l’accent de là-bas, et le désir, toujours aussi fervent, que la servitude alsacienne prenne fin, et que « les choses changent… » Dans certains villages de l’Afrique française, avec quelle émotion on a dû voir partir zouaves, turcos et tirailleurs ! avec quelle fébrile impatience, chaque jour, on doit attendre « l’heure du communiqué ! » et avec quelle joie on a dû accueillir la nouvelle de notre entrée à Mulhouse !

Il va sans dire que les colons alsaciens qui vinrent s’installer en Algérie n’ont pas réussi tous au même degré. Les transplantations sont chose toujours fort délicate, et il faut, avec quelque chance, une grande force morale pour supporter sans dommage un déracinement. Un climat nouveau, parfois malsain, des conditions de vie, souvent même des tentations nouvelles, l’ennui, l’isolement, la nostalgie des horizons familiers eurent raison de plus d’une résistance. Découragées, un certain nombre de familles repartirent. Mais la plupart sont restées, — 900 environ sur 1 100, — et d’ailleurs, les vides ont été en partie remplis par des recrues nouvelles : l’Algérie n’a jamais cessé d’être un centre d’attraction pour l’immigration alsacienne-lorraine. Et la France n’a pas eu à se repentir d’avoir ainsi