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années, durant laquelle tant d’incidens menaçans devaient se produire entre la nation victorieuse et la nation vaincue, révélateurs des convoitises inassouvies de l’une et des indomptables espoirs de l’autre, la politique du gouvernement impérial d’Allemagne dominé par la volonté du tout-puissant chancelier consistait déjà à tenir la France sous la menace de la guerre. Cette politique, Guillaume II, disciple digne d’un tel maître, l’a continuée et même aggravée en lui imprimant des développemens que le professeur était bien loin de prévoir et, s’il n’y a pas toujours déployé la même habileté que lui, il s’est inspiré comme lui, pour la diriger et en recueillir tous les fruits, de cet esprit d’envie et de haine dont, au cours des siècles, les manifestations successives plus ou moins retentissantes, plus ou moins fécondes en résultats, caractérisent toute l’histoire de la Prusse, de telle sorte qu’à quarante ans du complot ourdi par Bismarck contre la France, c’est encore sa main qu’on aperçoit dans la terrible guerre déchaînée par son impérial élève.

Le traité de Francfort à peine signé, le gouvernement d’Allemagne regrettait déjà de n’avoir pas imposé à la France des conditions plus onéreuses. Le parti militaire reprochait au prince de Bismarck d’avoir laissé Belfort aux mains du vaincu. C’était, disait-on, « une épine dans les chairs de l’Allemagne. » Autour même du chancelier, on déplorait qu’il se fut contenté d’une indemnité de cinq milliards. En voyant le gouvernement de Thiers acquitter sa dette par anticipation et si facilement, le vieil empereur lui-même ne dissimulait qu’imparfaitement le regret de n’avoir pas exigé davantage. Ce regret ne laissait pas de se faire jour dans les félicitations qu’il adressait à l’ambassadeur de France, le vicomte de Gontaut-Biron, lorsque celui-ci lui annonçait que l’indemnité serait complètement payée à brève échéance.

— C’est admirable, lui disait-il, c’est merveilleux qu’au lendemain de vos désastres, vous soyez si vite en état de les réparer !

Et l’accent dévoilait que l’admiration se doublait de beaucoup de convoitise.

Bien que le chancelier défendît comme son œuvre le traité qu’il avait signé, il n’était pas loin de penser comme son souverain. On l’entendra plus tard déclarer que, s’il ne s’est pas décidé à la guerre en 1875, alors que le parti militaire croyait à la