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Devons-nous y voir des qualités toutes nouvelles, et comme inédites, issues de cette grande crise par une sorte de création spontanée ? Ou des qualités cachées jusqu’à présent dans la profondeur obscure de nos réserves ethniques, et qui n’avaient pas encore eu l’occasion de se manifester ? Ou des qualités acquises et qui témoignent tout simplement de la merveilleuse facilité de transformation que possède le tempérament français ? Qu’on adopte l’une ou l’autre de ces hypothèses, une chose est sûre, et un fait indéniable. Mal, ou tout au moins médiocrement préparée à une guerre effroyable, dont le succès dépendait presque uniquement de sa force de résistance, puisqu’elle devait presque seule supporter tout le premier choc, la France a résisté ; elle a « tenu » avec une vigueur d’héroïsme, avec une souple ténacité, avec une patience indomptable sur laquelle ses amis, et nous-mêmes peut-être, à certaines heures, nous n’osions pas trop compter. Elle a, pour le passé, mérité toutes les admirations qu’on nous a prodiguées, et, pour l’avenir, justifié toutes les espérances.

Ce qui est sûr encore, c’est que la France vient de vivre une heure unique, une heure incomparable de son histoire. Je doute qu’il y en ait eu de plus décisive depuis Jeanne d’Arc. Dans l’un et l’autre cas, ce qui était en jeu, c’était l’existence même de la patrie : to be or not to be. Ce qu’il s’agissait uniquement de savoir, c’était, au XVe siècle, si la France deviendrait une vassale de l’Angleterre, et, au XXe, une vassale de l’Allemagne. La seconde perspective était, pour mille raisons, de nature à nous faire frémir plus que jadis la première. Devenir Allemand, pour un Français d’aujourd’hui, quelle humiliation, quelle régression, et quelle déchéance ! Quel est celui d’entre nous qui, si ce monstrueux cauchemar avait pris corps, eût trouvé désormais quelque douceur à vivre ? La France a si nettement senti toute la gravité de la menace qu’elle s’est soulevée tout entière dans un sursaut de dégoût, d’indignation et d’effroi. L’Allemagne s’imaginait trouver devant elle une nouvelle Pologne à démembrer : elle eut affaire à une nation unie, résolue, disciplinée, qui avait des chefs et qui leur obéissait. Et toute la force et toute la ruse allemandes n’ont pu rompre ce rigide faisceau de volontés vivantes. Une fois encore, la France s’est dressée comme une personne morale qui veut vivre, qui est digne de vivre, et dont le monde a besoin pour vivre. Depuis