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qui n’a point cessé de l’être, s’est agrandi, a débordé hors de ses anciens murs, pour devenir en même temps une ville industrielle. Belfort, pour les Mulhousiens, c’était encore l’Alsace, et c’était la France, à cinquante kilomètres de chez eux. Un lycée s’y fonda, où ils envoyèrent leurs fils, au lieu de les envoyer comme autrefois au lycée de Colmar ou à celui de Strasbourg. Et, en 1878, deux des plus grands établissemens de Mulhouse, l’un de fil à coudre et l’autre de constructions mécaniques, s’y étant installés avec succès, beaucoup d’autres suivirent. Quelques-unes de ces maisons sont des créations nouvelles et autonomes ; mais la plupart d’entre elles sont de simples « filiales » dont le siège social est resté à Mulhouse. Il est telle de ces usines où, sur 6 000 ouvriers, 3 000 sont Alsaciens. Aussi les rapports entre les deux villes, Mulhouse et Belfort, sont-ils fréquens et cordiaux : le 14 juillet, nombreux sont les Mulhousiens qui, hier encore, venaient assister à la « revue de Belfort. » L’an prochain, ce seront peut-être les Belfortains qui iront voir la revue de Mulhouse. M. Delahache cite ce bout de dialogue entre deux grands industriels mulhousiens : « Nous n’avons, disait l’un, rien fait depuis la guerre. » — « Nous avons fait Belfort, » répondit l’autre. Et le mot résume assez bien l’histoire parallèle des deux villes.

Les Alsaciens ne se sont pas contentés d’essaimer dans des villes françaises ; ils ont fondé jusqu’en Algérie des colonies d’un caractère original et d’une robuste vitalité. Le 4 mars 1871, plusieurs députés de l’Assemblée nationale proposèrent d’attribuer « une concession de cent mille hectares des meilleures terres dont l’État dispose en Algérie aux Alsaciens et aux Lorrains habitant les territoires cédés qui voudraient, en gardant la nationalité française, demeurer sur le sol français. » Le projet souleva quelques objections assez spécieuses, mais fut adopté, et plusieurs lois ou décrets en arrêtèrent les dispositions. Diverses circonstances permirent d’en assurer et d’en hâter la réalisation. D’innombrables bonnes volontés, en Alsace, en France, — parmi lesquelles il faut signaler surtout celle du comte d’Haussonville, — en Algérie même, s’employèrent à faciliter aux émigrans les débuts, souvent laborieux, de leur vie nouvelle. « Du mois d’octobre 1871 au mois de mars 1875, 1 020 familles d’Alsace et de Lorraine, — plus de 5 000 personnes, — arri-