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Paris, le nerveux et vibrant Paris, a eu la joie grave : ce peuple auquel ses ennemis surtout ont si souvent reproché ses fanfaronnades, et qui, certes, ne déteste point un peu de panache, a vu s’accomplir avec calme ce « renversement » de sa destinée. Et peut-être n’est-ce pas l’une des choses les moins surprenantes auxquelles nous assistons depuis huit mois que cette sorte de transformation spontanée du tempérament national, cette absence complète d’exaltation, ce sang-froid conservé dans la bonne comme dans la mauvaise fortune.


IV

Car ce fut bien dans ces héroïques journées de la Marne que la fortune décidément se retourna, que « l’espoir changea de camp. » La « supériorité morale » dont nos troupes firent preuve sur les armées adverses dans ces sanglantes batailles, elles ne l’ont point perdue depuis ; elles en ont eu une conscience croissante. Le charme était rompu. Cette redoutable armée allemande, qui passait pour invincible, parce qu’elle nous avait vaincus en 1870, qui croyait l’être, et qui surtout se vantait de l’être, venait d’être battue à n’y rien souhaiter. Son offensive était brisée ; et, quelques efforts parfois furieux qu’elle ait faits depuis pour la reprendre, quelques succès partiels, et d’ailleurs sans lendemain, qu’elle ait, çà et là, obtenus, qu’elle obtiendra peut-être encore, elle n’a pu ni percer nos lignes, ni envelopper l’une de nos armées, ni nous faire abandonner sérieusement du terrain. Au contraire, c’est elle qui a dû, presque toujours, céder sous notre pression, et qui, pour mieux y résister, a inauguré cette guerre de tranchées qui dure depuis plus de six mois, et à laquelle nous avons dû nous plier nous aussi.

Il n’en était pas qui parût — a priori — moins adaptée au tempérament français ; et c’est sans doute là-dessus qu’on comptait outre-Rhin pour lasser notre patience et nous contraindre à ce qu’on appelle là-bas « une paix honorable, » et ce qui eût été pour nous une paix un peu déshonorante, et, en tout cas, singulièrement précaire. Avouons-le : nous redoutions pour nos soldats cette épreuve d’une guerre toute nouvelle, et à laquelle, à ce qu’il semble, ils avaient été peu préparés. Le Français n’aime pas à « remuer de la terre, » pas plus qu’il n’aime à battre en retraite. La guerre d’offensive