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et chefs ont été également admirables. On avait demandé aux hommes, « au nom de la Patrie, de faire plus que leur devoir ; » ils « répondent au-delà même de ce qui paraissait possible. » Et quant aux chefs, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus en eux : l’esprit d’initiative avec lequel ils combattent l’ennemi qui s’oppose directement à eux, observant tous ses mouvemens, épiant toutes ses défaillances, les exploitant à la minute précise où ils peuvent en tirer avantage ; ou bien l’esprit de souple et stricte discipline avec lequel ils se conforment aux instructions du généralissime, réalisant scrupuleusement ses desseins, appliquant et développant sa pensée, la devinant même et s’y soumettant d’avance, en parfaite union de doctrine et d’intention avec lui. Collaboration étroite et féconde qui a fait converger vers un même objet toutes les énergies, tous les efforts individuels, et qui a fait de la victoire de la Marne une de ces puissantes œuvres collectives dont la réussite a pour condition l’utilisation nécessaire de multiples et robustes personnalités. Quelle a été, dans notre victoire, la part d’action d’un Galliéni, d’un Foch, d’un Castelnau, d’un Maunoury, d’un Dubail ? Nous ne le savons pas encore avec une entière exactitude : nous pressentons simplement qu’elle a été considérable, et que si l’un ou l’autre de ces chefs, — pour ne parler que de ceux-là, — n’avait pas agi comme il l’a fait, au lieu d’une victoire décisive, c’est un revers peut-être que nous aurions à déplorer. Jamais encore, sur un champ de bataille aussi vaste, d’aussi puissantes masses d’hommes n’avaient été conduites et manœuvrées avec une pareille maîtrise par des généraux plus valeureux, plus fraternellement unis, d’une science militaire plus consommée. Les historiens de l’avenir diront probablement de la victoire de la Marne qu’elle est un des chefs-d’œuvre du génie français.

De cette victoire « complète » et « incontestable, » — « la revanche de 1870, » — que nous attendions depuis quarante-quatre ans, nous avons été heureux, nous avons été fiers sans doute ; mais nous l’avons été avec une extrême modestie et une rare discrétion. Je ne crois pas que Paris, enfin sauvé de l’invasion, — et qui en avait parfaitement conscience, — ait arboré un drapeau de plus. Paris n’a pas imité Berlin, qui avait pavoisé avec frénésie après la bataille de Charleroi. Les espions prussiens qui s’y trouvaient encore n’ont pas dû en croire leurs yeux :