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Car enfin, on ne saurait comparer, même de très loin, le Paris du temps d’Attila au Paris contemporain[1]. Que le roi des Huns ait négligé de prendre et de mettre à sac la vaillante cité prédestinée, il n’est pas sûr que ce fût une faute, et, en tout cas, si c’en était une, c’était une faute qui ne compromettait nullement le succès de sa campagne : il lui importait infiniment plus de s’emparer d’Orléans, la clef du Midi, et c’est en effet sur cette ville qu’il lança sa meute hurlante. Mais ce qui était vrai d’Attila ne l’est pas de son moderne successeur. Prendre Paris et nous dicter la paix avant que la Russie ne fût prête, — ses généraux nous l’avaient assez dit, — tel était l’objectif essentiel de l’empereur Guillaume. C’était l’unique raison de cet immense déploiement de forces sur notre frontière du Nord, de la violation de la neutralité belge, de ces marches forcées de l’aile droite allemande. Et certes, ce n’était point mal calculé. Même sans l’appât d’un gouvernement à capturer, d’une Banque de France à dévaliser, Paris restait une proie assez désirable pour les convoitises d’outre-Rhin. Et assurément, Paris pris, ce n’était pas encore la fin de la France, ni la fin de la guerre, ni la victoire finale. Il nous serait resté des armées, de l’argent, des alliés, du courage. Mais, sans parler du grand effet moral produit sur le monde, il faut bien avouer que la perte de notre capitale nous eût rendu moins facile la paix glorieuse à laquelle nous avons droit. Et il est bien vrai que Paris ne se serait pas laissé prendre sans résistance. Mais, les Allemands ne pouvaient pas l’ignorer, — à quoi leur eût servi leur armée d’espions, s’ils avaient ignoré cela ? — Paris, son armée mise à part, n’était pas, alors, protégé comme il aurait pu et dû l’être. Une rapide et violente attaque brusquée, un hardi et heureux coup de main, — un de ces coups de main où les Allemands ne comptent pas les vies humaines, — auraient fort bien pu réussir. Et alors, c’était le rêve lointain du César germanique enfin réalisé ; c’était l’une de ces « entrées » triomphales qui lui ont toujours été refusées ; c’était, pour son armée de pillards et d’incendiaires, l’orgie sanglante qu’on leur avait si souvent promise. Et, brusquement, sans qu’on sache

  1. Paris n’était pas alors une ville très importante. Bien qu’elle eût été distinguée par César, par Constance Chlore et par Julien, elle ne fut jamais ni la capitale officielle de la Gaule, ni même la métropole d’une province. C’est Clovis qui, un demi-siècle plus tard, en fît la capitale de son royaume.