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UN TÉMOIGNAGE ALSACIEN SUR L’ALSACE-LORRAINE.
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immigrans allemands qui, moins nombreux du reste qu’ailleurs, sont très mal vus de la population indigène. Ce n’est pas une ville morte : c’est une ville que la vie intense a abandonnée, et qui tâche de se survivre à elle-même.

Mulhouse a fait mieux que de se survivre : Mulhouse avait 70 000 habitants en 1870, et en a aujourd’hui 95 000, dont environ 10 000 Allemands ; mais, sans la guerre, Mulhouse n’aurait sans doute pas moins de 125 000 âmes. Ville d’humeur indépendante et fière, pendant plusieurs siècles république alliée aux cantons suisses, réunie à la France, sur sa demande, en 1798, sa prospérité date surtout de cette époque : elle n’avait alors que 6 000 habitans, mais déjà la grande industrie qui devait faire sa fortune était née sur son sol depuis cinquante ans, grâce à l’heureuse initiative de Kœchlin, Schmalzer et Dollfus. « Oui, Sire, répondait en 1814 Nicolas Kœchlin à Napoléon, nous avons amassé de la fortune, mais nous saurons montrer à la France comment il faut s’en servir. » Reconnaissante à la France de l’avoir aidée à faire sa fortune, Mulhouse, pendant et depuis la guerre, a su fort bien se servir de sa fortune pour la France. Sa fidélité à l’ancienne patrie se faisait d’autant plus ardente que, sous le nouveau régime, sa prospérité subissait un temps d’arrêt. D’abord, elle a eu à lutter contre la concurrence étrangère, et surtout allemande, et si l’on songe qu’en 1870, l’Allemagne n’avait pas plus de 300 000 broches de laine peignée, alors que l’Alsace en avait 200 000, tandis qu’aujourd’hui l’Alsace en compte 450 000, alors que l’Allemagne en compte 2 600 000, on voit la différence. D’autre part, l’exode de certaines personnalités industrielles et de certains capitaux devait fatalement se faire sentir dans le développement de la laborieuse cité. Deux industries, celle du fil à coudre et celle de la construction des machines, de certaines machines, tout au moins, ont seules gardé leur supériorité d’autrefois ; les autres ont dû, pour la plupart, se transformer, s’adapter à des conditions de vie nouvelle pour ne pas péricliter, et au total, le nombre des établissemens mulhousiens a diminué des trois quarts.

C’est Belfort qui a recueilli l’héritage de Mulhouse, Belfort qui avait 6 000 habitans en 1870, et qui en a maintenant 34 000, Alsaciens pour les deux tiers. Belfort, vieille ville militaire, et