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allemande. » Et rassurés sur les principes, ils s’apprêtèrent à faire le coup de feu contre l’ennemi commun avec autant de sérénité et d’ardeur que les plus fougueux « nationalistes. »

On se représente donc assez bien les raisons diverses auxquelles ont obéi les différens partis qui se disputent la direction de la France contemporaine, en courant sans hésitation, d’un même élan, à la frontière menacée. Les uns vivaient de préférence dans les souvenirs de l’ancienne France, celle des Croisades, de saint Louis, de Jeanne d’Arc, la « fille aînée de l’Eglise, » dont la mission n’est pas près d’être achevée. Les autres se complaisaient dans la France rationaliste et libre penseuse, le pays de Voltaire et de Diderot. Les autres enfin tournaient plus habituellement leur pensée vers la France démocratique et égalitaire, la France de la Révolution, la patrie par excellence des revendications sociales et des libertés politiques. Et tous ensemble, ils allaient défendre la France, tout simplement parce qu’elle était la France, la douce et maternelle patrie, la terre des aïeux, le coin du sol sacré où sont ensevelis leurs morts, où ils sont nés eux-mêmes, où ils ont balbutié leurs premières paroles, dont les horizons familiers ont caressé leurs premiers regards, se sont mêlés à toutes leurs joies et à toutes leurs douleurs, — et parce qu’ils ne pourraient plus vivre si ces bois, ces champs, ces villes qu’ont fondées les ancêtres venaient à tomber aux mains d’hommes d’une autre race, aux mœurs grossières, au parler rude, au lourd et fumeux génie. Et tout cela est vrai ; toutes ces explications sont justes, et il faut les donner. Mais que toutes ces causes, apparentes ou profondes, de l’unanimité française aient pu jouer ensemble, qu’en une seconde elles aient fait d’une nation, hier si divisée, la moins disciplinée et, par momens, la plus anarchique, un bloc intangible et sans fissures ; que nous ayons vu se constituer l’union sacrée des esprits, des volontés et des cœurs ; que sous nos yeux, comme par l’effet d’une brusque réaction chimique, se soit produite une sorte de soudaine cristallisation de l’âme française, c’est ce qui dépasse et confond la raison raisonnante, et, — qu’on donne au mot le sens réel ou figuré que l’on voudra, peu -m’importe, — c’est où je vois le premier miracle français.