Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
REVUE DES DEUX MONDES.

On ne fait pas au despotisme sa part. L’orgueilleuse et impérieuse Allemagne ne pouvait pas admettre une Alsace-Lorraine qui fût comme un empire dans un empire. Il n’y a pas d’autonomie possible avec une puissance qui n’abdiquera jamais la moindre parcelle de l’autorité que ses armes lui ont conquise.

Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas.

Il n’y a rien à répondre à cela, — rien qu’à se soumettre et à accepter, en attendant des jours meilleurs. Quelques-uns des autonomistes alsaciens n’ont-ils pas été victimes de la même illusion que nos pacifistes français ? On ne peut pas faire la paix avec un peuple qui ne rêve que la guerre, ou qui n’entend la paix que comme la simple acceptation de tous ses caprices. « Sois mon frère, ou je te tue : » telle a été, depuis quarante-quatre ans, la formule de l’amitié germanique. Pacifistes tant que l’on voudra : mais que Messieurs les Allemands commencent ! Pareillement pour l’autonomie : pour pouvoir parler sérieusement et efficacement d’autonomie alsacienne, c’est l’Allemagne tout d’abord qu’il aurait fallu convertir à l’idée autonomiste. Et l’Allemagne, — elle l’a bien prouvé, — n’était ni assez intelligente, ni assez généreuse pour se laisser convertir.

Allons plus loin. Si séduisante qu’elle fût par bien des côtés, la conception autonomiste n’avait-elle pas le grave tort d’être une de ces conceptions un peu hybrides, et comme provisoires, dont on peut bien s’accommoder quelques années, mais qui, n’allant pas au fond des questions et ne répondant pas à toute la réalité des faits, finissent par ne satisfaire à peu près personne ? En échange de leur autonomie, les Alsaciens-Lorrains promettaient d’être de fidèles et loyaux sujets de l’empire d’Allemagne : rien de mieux en temps de paix, mais qu’adviendrait-il en cas de conflit franco-allemand ? Leur loyalisme irait-il jusqu’à combattre avec entrain contre leur ancienne patrie, ou, tout au moins, à ne pas faire de vœux pour les victoires françaises ? Douloureuse et troublante question qui a dû se poser, depuis trois mois, dans nombre de consciences alsaciennes[1]. Il est

  1. Rappelons à ce propos un mot d’une tragique beauté digne de Corneille ou d’Eschyle, que citait récemment un journal du matin. Lors de la première entrée des troupes françaises à Mulhouse, un Alsacien s’approche de nos soldats, vide son escarcelle dans leurs mains, et s’écrie : « Et maintenant, je puis mourir. Allez, mes gars, allez tuer mon fils : il est au 40e poméranien. »