Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
UN TÉMOIGNAGE ALSACIEN SUR L’ALSACE-LORRAINE.

L’Allemagne feignit de croire que ce n’était là qu’une question de mots, que les Alsaciens, n’étant que des Allemands qui ne s’avouent pas ou qui s’ignorent, finiraient bien, tôt ou tard, par prendre nettement conscience de leur foncier « germanisme, » bref, que ce programme était inoffensif, et ils le laissèrent à peu près exécuter. À peu près seulement : car, bien entendu, il fallait bien, de temps à autre, faire sentir lourdement son autorité, et par de puériles et mesquines interventions, s’enlever tout le bénéfice d’une relative tolérance. M. Delahache cite à ce propos un petit fait qui est très significatif. L’avant-veille du jour où fut inauguré le monument de Wissembourg, le gouvernement exigea la suppression des divers emblèmes sculptés aux quatre angles du socle : le soleil qui représentait Louis XIV, les lys qui rappelaient Louis XV, la hache et le faisceau révolutionnaires, l’aigle napoléonienne. J’ai déjà dit, je crois, que le manque de tact est la faculté maîtresse de l’Allemand, et qu’il ne saura jamais être généreux ou libéral jusqu’au bout.) D’autres faits plus récens et plus graves allaient prouver que l’ère des vexations n’était pas close, et qu’en dépit de passagères satisfactions, le parti des « autonomistes » n’aboutirait pas à des résultats plus heureux et plus durables que celui des « protestataires. »

« Autonomistes, » « protestataires, » ce sont bien là en effet les deux partis qui, dès le lendemain de l’annexion, se partagèrent l’opinion publique en Alsace-Lorraine. Les protestataires, n’ayant pu émigrer, voulaient du moins prolonger sur le sol annexé le geste de ceux qui s’étaient volontairement exilés, et toute leur politique consistait à ne pas reconnaître le fait accompli, et, sans souci des persécutions, des injustices, à « affirmer leur sympathie pour leur patrie française et leur droit de disposer d’eux-mêmes. » Politique toute négative, sans doute, et, partant, un peu stérile, mais si noble, si fière, si touchante dans sa hautaine intransigeance, qu’un Français ne saurait se reconnaître le droit de la discuter. Quant aux autonomistes, — des Alsaciens pour la plupart, — si leur attitude, surtout au début, pouvait passer, comme l’a dit fort spirituellement M. Delahache, pour « le manège d’une veuve encore en deuil, mais déjà consolable, et dont le prétendant était très puissant, » elle a eu, certes, son utilité pratique ; mais comment ne pas avouer que leur effort était condamné à un échec ?