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qu’impose une nombreuse famille, mais en partie, aussi, par le développement même des affections familiales, par les soins minutieux dont on entoure les premiers nés, par le souci surtout de leur assurer un avenir meilleur. Le goût du bien-être matériel conduit à la réduction du nombre des enfans chez les uns ; chez les autres, le même effet résulte de l’aspiration vers une ascension aussi bien intellectuelle que sociale, du désir de donner à leurs descendans une éducation soignée, une instruction prolongée et supérieure à celle que les parens ont reçue eux-mêmes : c’est une idée fréquente, chez nous, qu’un père manquerait a un devoir absolu, s’il s’exposait à ne pouvoir éviter, dans une famille trop nombreuse, un recul à cet égard. Sans doute, la crainte excessive des risques de l’avenir, pour soi et pour les siens, est une lâcheté ; une certaine prévoyance n’en est pas moins une vertu et, dans les rapports conjugaux comme dans tous les autres, gouverner ses instincts est loin d’être une déchéance. Le célibat lui-même n’a pas pour uniques causes l’égoïsme et les mauvaises mœurs : que de fois il résulte d’un dévouement excessif à des parens âgés ou de l’impossibilité de réaliser un idéal haut placé !

Eh bien ! la guerre a déjà modifié et modifiera de plus en plus, dans une direction que nous croyons favorable à l’accroissement de la natalité, l’idéal de la jeunesse française. D’abord, elle a donné un sens concret et un but à ce goût un peu vague pour l’action qui, par le mouvement naturel de flux et de reflux, dans les aspirations des générations successives, tendait à remplacer, chez les jeunes gens, le culte exclusif de la science ou le dilettantisme artistique. En réveillant, avec l’héroïsme, toutes les énergies, la guerre ramènera dans de plus justes limites des idées de prudence devenues souvent excessives. Son issue donnera aux générations prochaines des âmes entreprenantes de vainqueurs ; tout nous donne le droit d’y compter, à nous qui avons vécu dans une patrie démembrée, avec la douleur et l’humiliation de la défaite. Et si trop de parens, aujourd’hui, sentent qu’en multipliant leurs affections, ils ont multiplié les points où la mort peut déchirer leur cœur, l’avenir montrera combien plus inconsolable est le désespoir de ceux qui ont perdu toute leur raison d’être, en perdant un fils unique.

Au fond, dans nos sociétés civilisées, il n’y a que trois forces morales qui puissent faire envisager, dans un sens ou dans