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princesse firent autour de cette découverte ! A vrai dire, il y avait de quoi. On fit exhumer la bière : on y trouva un morceau de bois. La fugitive fut, bien entendu, accusée d’avoir tué cette victime qui, en réalité, était poitrinaire, et avait succombé devant elle à un vomissement de sang, à Milan. Mais que faisait ce mort dans un placard ? et pourquoi ce faux enterrement ? Jamais on n’a pu éclaircir ce mystère. Je l’ai dit, tout ce qui émana de la princesse Belgiojoso, ou même tout ce qui la toucha, a pris un air de roman.

Elle resta quatre ans éloignée de sa patrie et acheta même en Orient un domaine où elle cultiva le riz et la vigne ; puis elle s’ennuya, je pense, de tant de silence et d’une telle solitude, car elle entreprit de lointains voyages, pénétra dans divers harems, visita la Syrie et l’Asie Mineure à cheval, pendant un an encore. De retour dans ses rizières et à court d’argent, elle écrivit dans divers journaux européens, et, avec sa fille, elle broda… C’est à cette époque qu’un de ses serviteurs, mécontent, lui porta sept coups de couteau auxquels elle survécut : elle ne devait pas mourir avant d’avoir vu se réaliser le rêve de sa vie.

En 1853, elle revint en France. Déjà, le sort de l’Italie était entre les mains de Cavour. Jadis, au bord du lac Majeur, regardant la rive autrichienne et s’entretenant avec Mazzini des destinées de sa patrie, il avait répété avec une vivacité joyeuse : « Nous ferons quelque chose[1] ! »

Lorsque la Lombardie fut de nouveau accessible aux exilés, la princesse Belgiojoso retourna à Milan. Ses amis disent qu’elle joua en ce moment un important rôle dans la politique franco-italienne que poursuivait Cavour ; j’imagine peu cependant que Cavour ait pu prendre cette agitée au sérieux. Il n’en est pas moins vrai qu’elle fonda alors à Milan un journal imprimé en français, — l’Italie, — qui était certainement un organe de propagande. Mais si, à ce moment, la princesse a joué un rôle politique, il ne fut pas bruyant, comme ceux qu’elle aima jouer au moment de la Giovine Italia. D’ailleurs, elle était absorbée aussi par un important ouvrage sur l’Histoire de la Maison de Savoie, et elle passa à Locate, après les heures frivoles, et les heures tragiques de naguère, de douces heures laborieuses.

  1. Charles de Mazade, Le Comte de Cavour, p. 5.