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parmi les intimes. Il l’aima fidèlement ; et son amour, sans espoir, se transforma en amitié fervente, ce qui est rare, quoi qu’on dise. Jusqu’à la fin, il l’admira, et elle lui fut une conseillère, « la seule dont les avis furent écoutés. »

Il lui écrivait : « Vous êtes la personne la plus complète que j’aie trouvée sur la terre. Oui, avant de vous connaître, je me suis imaginé que des personnes comme vous, douées de toutes les perfections corporelles et spirituelles, n’existaient que dans les contes de fées, dans les rêves du poète. A présent, je sais que l’idéal n’est pas vaine chimère, qu’une réalité correspond à nos idées les plus sublimes[1]. » Et encore : « Vous êtes la plus belle, la plus bonne, la plus admirable personne que j’aie rencontrée sur la terre ; votre souvenir embaumera mon existence[2]. »

Et à Mignet, en parlant de sa Muse, il disait : « Je serais un monstre, un barbare, un tedesco, je lui volerais un seul de ses précieux momens en lui demandant de ses nouvelles ! Un jour qu’elle ne sera que spirituelle et princesse et que moi je serai tout à fait son Ballanche, alors je lui écrirai de grandes lettres et elle me répondra de longues pages, mais je prie le bon Dieu de retarder ce jour-là aussi longtemps que possible. Cependant il me faut savoir comment la princesse se porte, et c’est vous, monsieur Mignet, qui m’écrira cela. »

Avec les années, le pauvre Henri Heine, de plus en plus malade, s’éloigna de sa belle amie, redoutant son influence, car il songeait à épouser Mathilde, et la princesse ne pouvait que blâmer Mathilde… Mais le poète est seul, il est malade, et Mathilde est là ; plus tard, quand elle l’aura épousé, elle se réservera de lui faire chèrement payer sa présence et ses soins.

En 1847, il écrivait à la princesse :


Montmorency, 21 septembre 1847.

« Très belle princesse !

« Je ne vous fais pas grâce de la visite que vous m’avez promise ; seulement, au lieu de venir à Montmorency, venez me voir à Paris, faubourg Poissonnière, 41, où je me réinstallerai en quelques jours. Ma maladie est devenue insupportable, la paralysie a gagné aussi les pieds, les jambes et tout le bas

  1. J. Legras, Appendice à H. Heine poète.
  2. Lettres autographes et documens historiques. Charovay, décembre 1913.