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Et il est vrai que, sous le joug abhorré de l’Autriche, la patrie s’était relevée tout entière ; le malheur l’avait rendue à elle-même. Les épreuves, si rudes soient-elles, sont salutaires à l’âme des peuples : elle en sort épurée et renouvelée.


II

En 1829, d’Alton-Shée, accompagnant le vicomte de Lanoue, chargé d’affaires de France à Florence, assistait à un bal donné par le prince Borghèse. Voici comment il parle de ce bal et de notre princesse :

« Au milieu d’une réunion de femmes les plus élégantes et les plus jolies, je fus frappé de l’apparition d’une étrange beauté : sa toilette noire et rouge était simple et bizarre, des cheveux noirs et fins, naturellement ondés, sans aucun ornement, le front large d’un jeune Faust, des sourcils admirablement dessinés, les grands yeux écartés d’une statue antique, un regard mystérieux, donnaient au haut du visage quelque chose de sévère et de profond, tandis que la perfection du nez, le délicieux sourire et l’attrait d’une fossette décelaient la grâce féminine dans tout son charme ; le teint était pâle et mat : elle avait vingt ans et semblait vivre pour la seconde fois… »

Elle s’était mariée à seize ans ; à vingt-deux, elle était séparée. Ce prince Belgiojoso semble avoir été le meilleur et le plus séduisant des amis, mais bellissimo com’un Apollo, il aimait peut-être trop la vie et le maximum de jouissances qu’elle offre aux princes beaux et aimables, pour faire un mari. D’ailleurs il ne s’était marié que par persuasion et il courut rapidement à d’autres fêtes. Il aimait le changement, le plaisir, le jeu, la musique, les soupers somptueux, les autres aussi, il aimait tout et cet Apollon, pour tous ces divertissemens, était doué d’une santé de fer, passait de joyeuses nuits, puis, dispos à l’aurore, il courait à d’interminables parties de chasse dont il ne revenait que le soir… et le soir, il recommençait. Au demeurant, le meilleur garçon du monde, plein d’entrain et de gais propos, adoré de tous, car il était le plus serviable et le meilleur des amis. Il aima sa femme quelques mois, puis il revint à la maîtresse de Byron, la Guiccioli, qu’il avait quittée pour se marier ; il revint à elle, — mais il ne s’y tint pas.