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« La bastonnade, le jeûne, les fers, contre les prévenus qui refuseraient de répondre aux questions du juge, qui feindraient la folie ou persisteraient dans leurs dénégations[1] : » voilà les châtimens. N’oublions pas non plus qu’au nombre de ceux-ci était la torture, qui faisait partie du pouvoir discrétionnaire du juge. Le carcere duro, enduré dans la lointaine Moravie, a dévoré les belles années de maints jeunes patriotes à cette époque. Qui n’a lu Silvio Pellico et l’histoire de ses neuf années passées dans un cachot, des chaînes aux pieds ?

Lorsque, après ces épreuves terribles, il est ramené en Italie par son garde-chiourme, il s’arrête à Vienne avec Maroncelli, son ami. Celui-ci est infirme, car on a dû lui couper la jambe, gangrenée par le frottement de ses chaînes dans sa prison ; tous deux sont hâves, maigres, rongés de scorbut. Dans le parc de Schœnbrunn qu’ils visitent, l’Empereur autrichien vient à passer ; alors le garde-chiourme, pour ne pas attrister la vue du souverain, lui cache les deux malheureux qui lui doivent leur misère !

Lorsqu’elle eut douze ans, le beau-père de Cristina Trivulce fut arrêté avec le marquis Pallavicino, son cousin, Confalonieri, président de la Federazione, un Français, Andryane, Castiglia, etc. Tous étaient compromis dans la tentative de 1821 que Charles-Albert avait risquée en Piémont, et qui avait si misérablement échoué. Le procès dura deux ans. Faute de preuves suffisantes, le marquis d’Aragona fut remis en liberté. Mais Pallavicino et les autres accusés durent subir l’exil, — et quel exil !

Cristina Trivulce grandit dans ce milieu troublé. Son éducation, qui fut celle d’un homme instruit, mûrit son intelligence et développa le côté grave et viril de son caractère. D’autre part, « le contact avec ce beau-père libéral contribua à faire éclore chez l’enfant des sentimens patriotiques qui devaient plus tard dominer son existence, et devenir le plus puissant moteur de ses acles[2]. »

Ardente et belle, cette patriote de seize ans est la vivante image de la jeune Italie, dont l’esprit déjà songe à la revanche prochaine, à la Résurrection. « Tout notre Risorgimento, dit M. R. Barbiera, fut un calvaire, une passion. » « L’unité de l’Italie naquit de la souffrance et du sacrifice[3]. »

  1. La Varenne.
  2. Mme Dora Melegari.
  3. R. Barbiera, Passioni del Risorgimento ; « ai Lettori. »