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et éveilla la passion des hommes ; patriote, l’amour de son pays emplit vraiment seul son cœur inassouvi et occupa sa pensée. Elle eut toutes les aventures, je dis toutes. Vivant en plein Romantisme, les folies, même les plus belles, elle sut les accomplir, et comme rien dans sa vie ne pouvait être banal, on trouva un jour un cadavre dans son armoire, et elle fut poignardée en Anatolie par un de ses compatriotes mécontent qui, ne lui ayant donné que sept coups de couteau, ne parvint pas à la tuer.

Muse romantique, mais bien plutôt dame de la Renaissance italienne, elle appartient à deux siècles passés ; elle ne serait pas déplacée, intrigante et hardie, à la Cour d’une Isabelle d’Este ou d’une Catherine Sforza… La destinée l’a fait naître au XIXe siècle qu’elle étonna, et lui a fait connaître des personnes dont les noms nous sont familiers, et qui ont vécu dans un temps proche du nôtre ; mais penser que cette amazone habita place de la Madeleine, connut Mignet, Cousin et Mme Caroline Jaubert, a l’air d’un anachronisme paradoxal. La princesse Cristina Trivulce, dernière descendante d’une illustre famille, a été à l’étroit dans son siècle. Elle y apporta d’ailleurs les libertés et les audaces d’autres époques ; et lorsque, proscrite, elle vint habiter Paris, elle ne daigna pas se plier aux règles bourgeoises que la société d’alors s’imposait, et demeura un sujet de surprise et de scandale. Pourtant, pour quelques-uns, ses malheurs lui firent une parure, et ses aventures un attrait ; puis, elle était d’une rare beauté.

Son enfance passée à Milan au milieu d’une société de patriotes mécontens qui devinrent des conspirateurs et des Carbonari, son mariage romanesque avec le prince le plus beau du monde, puis ses aventures politiques, son goût de la science, des arts et des artistes, tout la rattache aux figures italiennes d’autrefois, à ses brillantes devancières qui tenaient des cours de savans et de poètes, assiégeaient les villes et conspiraient contre les Papes.

Et en vérité, avec sa longue taille, l’ovale pur de son visage, son teint de « perle, » ses yeux immenses, ses cheveux de jais, la princesse Cristina, vêtue de « longues robes étranges, » m’apparait comme une figure énigmatique de Léonard de Vinci, une Joconde nouvelle, ou encore comme une fine dame de Botticelli, tenant une rose entre ses doigts.