Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
REVUE DES DEUX MONDES.

capitaine en tête, se mit à danser la bourrée. Que de choses dans ce joyeux geste ! Et voilà comme on oublie en France !

Si M. Georges Delahache avait pu prévoir le prochain avenir, il est infiniment probable que, sur ce point-là, entre autres, il se fût montré un peu moins pessimiste ; mais il n’en eût pas moins écrit les deux livres excellens et très documentés où il a résumé et vulgarisé, à l’usage des jeunes générations survenantes, toute l’histoire de l’Alsace-Lorraine, particulièrement depuis l’annexion. Il complétera, je l’espère, bientôt, cette histoire, qui, dans son premier volume, s’arrête à 1909, et dont le chapitre le plus émouvant ne sera pas sans doute celui qui sera consacré aux derniers jours de la domination allemande et à la vie de l’Alsace-Lorraine pendant la présente guerre. En attendant l’heure de l’entière délivrance, je voudrais, à mon tour, en les accompagnant de brèves réflexions, dégager les principales données des deux ouvrages de M. Delahache. Si l’on a besoin quelque part de bien connaître le récent passé de l’Alsace-Lorraine, c’est bien ici, en France, ne serait-ce que pour éviter, à brève échéance, les méprises, les froissemens et les heurts qui résultent toujours, en matière politique, administrative et sociale, de la méconnaissance des réalités ethniques et des conditions historiques[1].

I

On a parfois prétendu que c’est contre le gré de Bismarck que s’est faite, en 1871, l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Le chancelier de fer aurait prévu, dit-on, les difficultés de tout genre que cette annexion allait créer à son pays ; il aurait pressenti l’impossibilité d’une assimilation réelle des provinces conquises ; il se serait rendu compte enfin que c’était mettre de l’irréparable entre la France et l’Allemagne, creuser entre les deux peuples un abîme qui ne serait jamais comblé, et condamner vainqueurs et vaincus, et l’Europe tout entière, à un état de paix armée toujours précaire, et, par cela même, à une dangereuse insécurité. Mais, sur cette délicate question, le parti militaire prussien s’était montré d’une telle intransigeance

  1. N’est-ce pas déjà une de ces méprises que la nomination d’un sous-préfet d’Altkirch ?