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de Saxe-Weimar, et près de cent ans avant qu’il y eût des pangermanistes ?

Tout de suite, avec l’indomptable énergie de sa volonté, il se met au travail, et, comme le diable s’en mêle, le résultat ne tarde pas à dépasser ses espérances. Réellement, le docteur Faust, a fait sortir des eaux une terre nouvelle, que son industrie a su peupler et féconder avec une rapidité miraculeuse. Les vieillards, anciens habitans de cette pauvre région sablonneuse, ont peine à s’y reconnaître. Ils s’effarent de cette transformation et de cette prospérité si soudaines : « La vague s’éloigna. Les hardis ouvriers de maîtres sages creusèrent des fossés, élevèrent des digues, refoulèrent les droits de la mer, pour devenir souverains à sa place. Voyez, dans la verdure, prairie contre prairie, pâturages, jardins, villages et bois !… Cependant, au loin glissent des voiles. Elles cherchent pour la nuit un refuge assuré : — Les oiseaux connaissent leurs nids, — car, maintenant, là-bas, est un port. Ainsi, vous n’apercevez plus qu’au loin, dans l’étendue, l’ourlet azuré de la mer, et de droite et de gauche, s’ouvre, à la ronde, un espace où les habitans se pressent… »

Mais quel labeur, quelle dépense de forces et de vies humaines, pour en arriver là ! — « Le jour, les serviteurs travaillaient à grand bruit : la pioche et la pelle résonnaient coup sur coup. Où de petites flammes serpentaient la nuit, une digue s’élevait le lendemain. Le sang humain se répandait en sacrifice. Les ténèbres retentissaient de cris d’angoisse, l’onde incandescente ruisselait du côté de la mer : à l’aube, un canal était ouvert… »

Oui, ce nouvel Empire a coûté cher ! Mais, comme l’autre Empereur, Faust pourrait répondre : « Qu’importent les victimes ! J’ai gagné la victoire. » Son ambition tenace a triomphé : il a maintenant des ports, une marine, un vaste empire colonial au-delà des mers. Méphistophélès lui-même en est ébahi. En parfait courtisan, et aussi en hommes d’affaires, qui sait dresser un bilan et résumer une situation, il en complimente l’heureux docteur : « Ta sagesse sublime est couronnée, le rivage réconcilié avec la mer. La mer prend de bon gré le navire au rivage, pour l’entraîner en une course active. Avoue donc que d’ici, de ton palais, ton étreinte embrasse le monde. C’est de cette place que tout est parti : ici, s’éleva le premier bâtiment.