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plus à la jouissance qu’à la contemplation. Il ouvre les yeux, au milieu des fleurs qui embaument, au son des harpes éoliennes. Le souvenir de la tragédie récente ne l’effleure même pas, ne peut pas, ne doit pas l’effleurer. Pas ombre de remords. Les petits Elfes lui versent l’énergie et l’audace, sans se préoccuper plus que lui-même d’interroger sa conscience :


Les petits Elfes, par essaims,
Vont où la douleur les convie
Et portent la force et la vie
A chacun sans distinction,
Qu’il soit innocent ou coupable !


L’activité de Faust va rebondir, — et, cette fois encore, — « par-delà le Bien et le Mal. » Debout, debout ! A quoi bon rêver au passé et pleurer les morts ? Par-dessus les cadavres, en avant ! — « Le sommeil n’est qu’une enveloppe, rejette-la bien loin. Ne crains pas d’oser ! Bon pour la multitude d’hésiter et d’errer au hasard. L’homme noble peut tout ce qu’il veut : rapide, il voit le but et s’en empare. » — Pourtant, cette prairie est si fraîche, cette herbe si moelleuse, tout ce paysage si plein de gemüth, si rafraîchissant pour le cœur ! Et l’action est si dure et peut-être si vaine, hélas ! Elle ressemble à l’arc-en-ciel, qui enjambe ce torrent, — image de l’écoulement éternel de tout. C’est pour colorer ce prisme illusoire, cette fantasmagorie éphémère que l’homme s’épuise !… Mais ne discutons pas ! C’est inutile : « Vivre, voilà le devoir, ne fût-ce qu’un instant ! »

Épaulé de son fidèle Méphistophélès, Faust va devenir le Juif-errant de l’action. C’est vrai qu’il ne sait rien du monde, lui qui n’a vécu jusqu’ici que dans son laboratoire, parmi ses livres et ses cornues. Mais, pour réussir, il suffit de croire en soi, quand on a l’audace et l’intelligence.

Le diable lui-même s’en porte garant : « Mon bon ami, tu arriveras à tout, dès que tu auras confiance en toi-même. » C’est le principe du bluff et le mot d’ordre du germanisme. Personne plus que le docteur Faust ne croit en son destin. Outre qu’il se sait très fort, n’a-t-il pas conclu un pacte avec l’enfer ? Aussi pour son début dans le monde, est-il introduit d’emblée à la cour de l’Empereur.

Pauvre Empereur et plus pauvre Empire ! Du moins, l’Empereur a cette excuse qu’il est un bon garçon. Faust lui rendra plus tard ce témoignage : « J’ai pitié de lui : il était si brave, si